kinderzimmerVoilà un billet qui ne va pas être facile à écrire… Parce que c’est un titre dont on entend beaucoup parler en ce moment, et mon dieu qu’il le mérite… Parce que le sujet, ô combien difficile, me touche particulièrement… Parce qu’on ne parlera jamais assez des camps, quoi qu’on en dise… Et parce qu’il y est question d’une femme, et quelle femme… qui devient mère.

 

Kinderzimmer, ou l’impensable nursery au cœur de l’horreur. Kinderzimmer ou l’histoire d’une femme qui lutte pour sa survie et pour celle de cet enfant qu’elle n’attendait pas. Comment donner la vie alors même que tout autour de vous sent la mort…? Comment aimer un être qui ne verra sûrement pas le printemps à venir…?

 

Quand Mila, prisonnière politique, pénètre pour la première fois dans le camp de Ravensbrück, elle ignore tout de son état, de cette vie qui s’épanouit en elle alors qu’elle ne sait même pas si elle verra le prochain lever de soleil. Mila, anonyme parmi les quarante mille femmes que comptent le camp, cette « régression vers le rien, le néant (où) tout est à réapprendre, tout est à oublier. » Tous les jours, des arrivées, tous les jours, des femmes qu’on ne reverra plus et à qui on n’aura pas le temps de dire Adieu. Alors quand Mila découvre sa grossesse, elle fait tout pour que personne ne s’en aperçoive. Il n’y a aucun bébé dans le camp, où donc irait le sien…? « L’enfant invisible est-il une mort précoce. La mort portée au dedans. » Petit à petit, le corps de Mila change, imperceptiblement, bien malgré elle… Et cette naissance, elle ne pourra l’empêcher. Cet enfant d’ailleurs, n’est-il pas la seule chose qui la maintient en vie ? « (…) quelque chose de la vie normale, banale, du dehors. Qui abolit la frontière (…) Mais cet enfant, pourra-t-elle l’aimer…?

La découverte de l’existence de la Kinderzimmer au sein du camp est un choc. Dans cette pièce, une trentaine de nourrissons qui ne vivront pas au delà de deux ou trois mois. De toutes petites flammes, vacillantes… De faibles lueurs d’espoir… Pour son fils, Mila va vivre, il le faut…

 

« […] il faut des historiens, pour rendre compte des événements ;

des témoins imparfaits, qui déclinent l’expérience singulière ;

des romanciers, pour inventer ce qui a disparu à jamais : l’instant présent. »

 

Kinderzimmer est une lecture essentielle, qui remue et qui chavire le cœur. Une lecture douloureuse mais tellement nécessaire… Sans en faire trop, avec on ne peut plus de retenue, de pudeur et de respect, Valentine Goby nous livre là un roman absolument magnifique. Le témoignage est glaçant, atroce. Mettre des mots sur l’horreur, sur l’indicible. Voilà le pari difficile qu’a réussi à relever avec talent Valentine Goby. Avec ses mots, tout en émotion contenue, elle rend un vibrant hommage à toutes ces femmes, Mila, Lisette, Teresa et les autres. De magnifiques portraits de femmes, courageuses, solidaires… De magnifiques portraits de mères… Des témoignages on ne peut plus précieux qu’il n’existe aucune documentation précise sur le camp de Ravensbrück.

 

Alors oui. Kinderzimmer est une lecture éprouvante. Mais c’est aussi une lecture lumineuse… Incontournable…

 

Un coup de coeur que je partage avec Jérôme, Sandrine, Hérisson, Saxaoul et Val

 

Les avis de Stephie, Cajou, Livrogne, Clara, Brize, Jostein, Krol, Cathe, Argali, Natiora, Philisine Cave … et sûrement des tas d’autres à venir…!

Ceux plus mitigés de Cess, Malice et Meely

 

 

Premières phrases : « Elle dit mi-avril 1944, nous partons pour l’Allemagne. On y est. Ce qui a précédé, la Résistance, l’arrestation, Fresnes, n’est au fond qu’un prélude. Le silence dans la classe naît du mot Allemagne, qui annonce le récit capital. Longtemps elle a été reconnaissante de ce silence, de cet effacement devant son histoire à elle, quand il fallait exhumer les images et les faits tus vingt ans ; de ce silence et de cette immobilité, car pas un chuchotement, pas un geste dans les rangs de ces garçons et filles de dix-huit ans, comme s’ils savaient que leurs voix, leurs corps si neufs pouvaient empêcher la mémoire. Au début, elle a requis tout l’espace. Depuis, Suzanne Langlois a parlé cinquante fois, cent fois, les phrases se forment sans effort, sans douleur, et presque, sans pensée. »

 

Au hasard des pages : « Les corbeaux se nourrissent de déchets et de cadavres. Ils nous attendent. Il n’y a pas un bébé dans ce camp, pas une mère parce que mettre au monde c’est mettre à mort. Alors se détacher de l’enfant. Tout de suite. L’ignorer désormais comme tout ce qu’on ignore au fond des corps, quand par exemple on n’a pas eu de mère, ou même lorsqu’on en a eu une, toutes ces pièces étranges et molles entassées au-dedans dont on ne connaît pas les formes, l’aspect, faire de l’enfant un viscère supplémentaire, un bout d’intestin, d’estomac, organe digestif non doué de vie propre, tout de suite le deuil de l’enfant condamné comme nous toutes. Qu’on ne dise pas à Mila que rien ne vaut la vie. » (p. 59)

 

« (…) contre toute attente, ce qui arrive est une échappatoire, le ventre un lieu que personne, ni autorité, ni institution, ni parti ne peut conquérir, coloniser, s’accaparer tant que Mila garde son secret. Elle y est seule, libre, sans comptes à rendre, on peut bien prendre sa gamelle, voler sa robe, la battre au sang, l’épuiser au travail, on peut la tuer d’une balle dans la nuque ou l’asphyxier au gaz dans un camp annexe, cet espace lui appartient sans partage jusqu’à l’accouchement, elle les as eus, les Boches ; plus qu’un enfant c’est bien ça qu’elle possède : une zone inviolable, malgré eux. Et comme disait son père, qu’ils crèvent ces salauds. » (p. 95)

 

Éditions Actes Sud (août 2013)

224 p.

 

 

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Nouvelle lecture pour le challenge 2% Rentrée littéraire

chez Hérisson !

 10/12

 


49 commentaires

Sandrine(SD49) · 7 novembre 2013 à 07h39

Je suis vraiment très contente d’avoir lu ce livre magnifique !

    Noukette · 7 novembre 2013 à 23h57

    Moi aussi… Il y a longtemps que je n’avais pas été si chamboulée par un livre…

jerome · 7 novembre 2013 à 07h59

Oui il y a quelque chose de lumineux dans cette horreur. Une lecture forte, essentielle et qui secoue tellement fort. Merci pour cette lecture commune, tu sais à quel point elle me tenait à cœur.

    Noukette · 7 novembre 2013 à 23h58

    Merci à toi… Je pense que j’aurais repoussé cette lecture encore longtemps sinon, et ça aurait été bien dommage n’est-ce pas…?

Alex-Mot-à-Mots · 7 novembre 2013 à 09h14

Une lecture que j’hésite à faire, même si elle me parait essentielle.

    Noukette · 7 novembre 2013 à 23h58

    Il faut trouver le bon moment pour ce livre…

Philisine Cave · 7 novembre 2013 à 09h18

Merci pour ce très beau post. Tu as raison, ce livre magnifique mérite cette publicité bloguesque. Je t’embrasse.

    Noukette · 7 novembre 2013 à 23h59

    Oui, il faut lire ce livre, le faire lire, l’offrir… Merci à toi pour ton billet, j’y ai appris plein de choses…!

Laurie lit · 7 novembre 2013 à 10h06

Un très joli billet mais un livre que je ne pourrai ouvrir tant l’horreur me fait peur…je ne doute pas de sa grande qualité mais je ne le vivrai vraiment pas bien, encore plus dans mon « état »…mais un grand bravo à Valentine Goby au vue de tous ces magnifiques articles sur ce livre…

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h00

    Ce livre ne sera jamais bien loin, quand ce sera le moment… Il faut se sentir prête pour ce genre de lecture…

Krol · 7 novembre 2013 à 13h11

Oui, tu en parles très bien, une lecture essentielle !

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h01

    Je ne sais pas si j’en parle bien, mais il faut en parler en tous cas… Essentielle oui…!

Sophie Hérisson · 7 novembre 2013 à 14h08

Lecture essentielle et éprouvante, c’est tellement ça …

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h01

    Toujours difficile de trouver les mots dans ce cas là…

Natiora · 7 novembre 2013 à 14h22

Très beau roman malgré le sujet difficile. Je suis contente de l’avoir lu 🙂

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h02

    Je crois qu’on serait clairement passé à côté de quelque chose dans le cas contraire…!

cathe · 7 novembre 2013 à 15h28

Oui une lecture difficile mais vraiment très belle, un livre que l’on n’oubliera pas !

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h03

    Il y a longtemps que je n’avais pas ressenti de tels sentiments pendant une lecture…!

argali · 7 novembre 2013 à 20h21

Beau billet.
j’ai aussi aimé cette lecture, premier coup de cœur de la rentrée.
Pour ceux qui hésitent, ce n’est pas larmoyant. C’est dur, mais cela ne joue pas sur le pathos. C’est plus fin que ça.

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h05

    Je suis complètement d’accord, aucun sentimentalisme… Les mots sont choisis avec soin. Il n’y en a pas un de trop. C’est très fort !

saxaoul · 7 novembre 2013 à 20h31

Je n’ai pas pu lire ce livre d’une traite. Il fallait que je fasse des pauses….

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h05

    J’ai fait comme toi, il est nécessaire de s’accorder des respirations avec une telle lecture…!

cristie · 7 novembre 2013 à 21h18

Je le lirai mais un peu plus tard !

**Fleur** · 7 novembre 2013 à 21h28

Je l’ai réservé à la bibliothèque, j’attends mon tour…il paraît que c’est pour bientôt !!

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h06

    Je l’espère sincèrement pour toi ! J’ai hâte de connaître ton ressenti !

vicim /Sophie · 7 novembre 2013 à 22h22

J’ai hâte de le lire même si c’est un thème très dur

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h07

    Oui, le thème est dur, mais la narration de Valentine Goby est extraordinaire…!

Cynthia · 7 novembre 2013 à 23h59

J’hésite…parce que le sujet a déjà tellement été exploité…

    Noukette · 8 novembre 2013 à 00h10

    Je pense qu’on ne lira jamais assez sur ce sujet… On a beaucoup parlé des camps de concentrations… Peu des prisonniers politiques, des femmes… et des bébés de Ravensbrück…

gambadou · 8 novembre 2013 à 10h57

Sa lecture est prévue dans les jours qui viennent. J’ai un peu peur du côté très sombre.

    Noukette · 8 novembre 2013 à 19h18

    N’aie pas peur, il y a un côté lumineux à ce livre malgré tout…

Titine · 8 novembre 2013 à 15h44

L’existence d’une nursery au coeur d’un camp de concentration est absolument inimaginable. Valentine Goby a bien fait de traiter ce thème, c’est une histoire peu connue.

    Noukette · 8 novembre 2013 à 19h24

    Oui, c’est inimaginable, c’est pourtant un fait avéré… Un endroit ou les bébés ressemblaient à des vieillards… Où on avait une boite de lait en poudre en « échange » d’un cadavre de bébé… Mais les chats de la SS passaient avant… Bref… A lire !

Gwen · 11 novembre 2013 à 20h27

En effet, je n’ai lu que des critiques positives! Sujet pas évident et facile à lire, mais à lire! Merci pour ta chronique 🙂

    Noukette · 13 novembre 2013 à 23h18

    C’est un roman important je trouve… A découvrir quand on s’en sent la force…!

Cess · 21 novembre 2013 à 12h27

Mitigée oui même si je pense que ce livre doit être lu.

    Noukette · 21 novembre 2013 à 16h15

    Oui, c’est je trouve une lecture nécessaire, douloureuse mais nécessaire… Et je comprends tes bémols…

Choco · 25 novembre 2013 à 13h39

Noté avant même qu’il sorte ! Vos nombreux coups de coeur ont enfoncés le clou. Depuis mon coup de cœur pour son précédent roman, je suis devenue addict de Valentine. Le billet du jour de Jérôme vient même de me faire commander un nouveau titre !

    Noukette · 25 novembre 2013 à 23h07

    C’était mon premier de Valentine… Autant te dire que j’ai envie de dévorer tout ce qu’elle a pu écrire auparavant !!

Philippe D · 28 mai 2014 à 21h14

Impossible de trouver un avis négatif sur ce bouquin et pourtant, moi, il m’est tombé des mains.
J’ai été arrêté par le style de l’auteure. A la page 38, j’ai abandonné! Pas de ponctuation ou mal placée, des phrases tirées en longueur, des mots qui arrivent d’on ne sait où…
Je suis sûr que l’histoire est intéressante voire bouleversante mais je ne peux continuer…

    Noukette · 29 mai 2014 à 15h51

    Page 38 ? Vraiment…? Dommage de ne pas avoir laissé sa chance à ce roman…

itzamna · 25 juillet 2015 à 16h38

Un livre qui traîne dans ma PAL depuis presque 2 ans déjà et que je viens seulement de terminé. Un récit tragique, bouleversant mais surtout sans mélo à outrance, un texte très respectueux de l’histoire de ces femmes dont il s’est nourri. Un très bel hommage au courage de ces 150 000 femmes qui sont passées à Ravensbrück. Une auteur également dont j’ai aimé le style et qu’il me tarde de retrouver.

    Noukette · 30 octobre 2015 à 00h15

    Magnifique roman oui, une claque dont on se rappelle longtemps après…

Kinderzimmer | Skriban · 20 janvier 2014 à 06h07

[…] billet de Noukette qui recense beaucoup d’autres […]

Kinderzimmer, Valentine Goby | Bric à Book · 21 avril 2014 à 06h10

[…] Noukette : Kinderzimmer est une lecture essentielle, qui remue et qui chavire le cœur. Une lecture douloureuse mais tellement nécessaire… […]

Kinderzimmer, Valentine Goby | Micmélo Littéraire · 9 juillet 2014 à 03h06

[…] pas à lire les avis de BricàBook, de Clara, Jérome, Noukette, Stephie, Valérie, et de pleins d’autres que vous trouverez au fil des blogs. C’est […]

Kinderzimmer | Glaz! · 16 janvier 2015 à 20h58

[…] billet de Noukette qui recense beaucoup d’autres […]

Valentine Goby – Kinderzimmer | Sin City · 26 juillet 2015 à 11h48

[…] Ils en parlent également: Jérôme, Noukette […]

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