tropique violence

« Il faut me croire. De là où je vous parle, les mensonges et les faux-semblants ne servent à rien. Quand je regarde le fond de la mer, je vois des hommes et des femmes nager avec des dugongs et des cœlacanthes, je vois des rêves accrochés aux algues et des bébés dormir au creux des bénitiers. De là où je vous parle, ce pays ressemble à une poussière incandescente et je sais qu’il suffira d’un rien pour qu’il s’embrase.
 Je ne me souviens pas de toute ma vie car ici ne subsistent que le bord des choses et le bruit de ce qui n’est plus. Je me souviens de ça… »

Premiers mots… Le roman de Nathacha Appanah est une claque immense. Un choc. Total. Un coup de cœur infini qui m’a laissé sans voix, sans mots, sans …
J’ai du mal à dire, du mal à écrire cette émotion violente, une déflagration absolue qui m’a secouée et me secoue encore, me chavirant le cœur et l’âme… Comment m’y prendre pour vous conter cette histoire-là ? Pour vous crier qu’il faut la lire, vite. Il y a urgence. Un avant et un après. Comment ?

Mayotte. Le 101ième  département français. Dont on ne sait rien. Ou si peu. C’est loin Mayotte. On n’y pense jamais. Et pourtant, là-bas, des gens vivent, survivent, se battent pour exister. Envers et contre tout. Seuls. Si loin de nous …

Il y a Marie, la mère. Il y a Moïse, le fils. Il y a aussi Bruce, le chef de bandes de Gaza. Ou encore Stéphane, bénévole d’une ONG fraichement débarqué sur Mayotte… Tour à tour, ils prennent en charge le récit, racontent un bout de vie, un bout de leur histoire liée à celle de Moïse (quel personnage, quel personnage punaise).  Dans ce petit morceau de terre, l’île aux parfums ou l’île au lagon. Cette île française. Cet endroit minuscule laissé à l’abandon, au silence, qui se meurt, peu à peu, feu à feu… Un chaos, un enfer « qui se consume de l’intérieur »  loin des images paradisiaques, loin du « gout éphémère comme les vacances »

« Depuis le temps que ça gonfle cette violence, cette onde destructrice, cette énergie brûlante qui sort d’on ne sait où, tous ces morts dans le lagon qui vont se réveiller aujourd’hui et nous hurler à la face jusqu’à ce qu’on devienne fou. Depuis le temps qu’on prédit la guerre, qu’on guette le bruit des armes à feu et les cris des bêtes sauvages. Depuis le temps qu’il y a des articles, des reportages, des rapports, des missions, des visites, des pétitions, des pamphlets, des lois, des campagnes, des grèves, des élections, des manifestations, des émeutes, des promesses. Depuis le temps. C’est l’effet papillon qui nous pète à la gueule.»

Il y a les mots de Nathacha Appanah. Forts. Sensuels. Limpides. Déchirants. Vrais. Immenses. Qui disent l’indicible. L’intérieur. La violence des hommes. Le chagrin des vivants. Et punaise que c’est beau ! Ce livre déjà relu est au-delà de tout, vraiment lisez le, il vaut tout, il mérite tout. Merci Nathacha Appanah, je crois que je tiens là une pépite que je n’oublierai pas. Merci.

Ce roman est, vous l’aurez compris, MAGISTRAL.

Extraits (j’aurai voulu tout vous écrire, tout vous lire, tellement certains passages sont beaux à en crever)

« Gaza c’est un bidonville, c’est un ghetto, un dépotoir, un gouffre, une favela, c’est un immense camp de clandestins à ciel ouvert, c’est une énorme poubelle fumante que l’on voit de loin. Gaza c’est un no man’s land violent où les bandes de gamins shootés au chimique font la loi. Gaza c’est Cape Town, c’est Calcutta, c’est Rio. Gaza, c’est Mayotte, Gaza c’est la France. »

« Quand Stéphane me demandait pourquoi je lisais toujours le même livre, je haussais les épaules parce que je ne voulais pas lui expliquer que ce livre-là était comme un talisman qui me protégeait du monde réel, que les mots de ce livre que je connaissais par cœur étaient comme une prière que je disais et redisais et peut-être que personne ne m’entendait, peut-être que ça ne servait à rien mais qu’importe. Ouvrir ce livre c’était comme ouvrir ma propre vie, cette petite vie de rien du tout sur cette île, et j’y retrouvais Marie, la maison et c’était la seule façon que j’avais trouvée pour ne pas devenir fou, pour ne pas oublier le petit garçon  que j’avais été. »

« Pourtant, ta vie bascule quand tu rentres d’une semaine dans le Sud où tu as travaillé du matin au soir, où tu as l’impression, non ce n’était pas une impression c’était une certitude, d’avoir retapé non seulement une maison mais également un jeune garçon qui ne parlait pas dans la journée mais qui disait de ces choses la nuit dans son sommeil et tu écoutais pour pouvoir recoudre les mots et former son histoire et quand il a arrêté de porter sa casquette tu as eu le sentiment de savoir ce que c’est d’être, enfin, un homme bon. […] Ta vie bascule quand ils rentrent dans le local, te bousculent et te traitent de pédophile, de pédé. Ils avancent sur toi, tu voudrais être un mur solide et inviolable, mais non, tu recules, tu bafouilles, tu n’as aucune force dans les bras. Tu glisses sur les livres et ça fait un bruit de feuilles sèches. Tu as peur, ton corps est mou, ton estomac est remonté dans ta gorge, c’est la première fois que tu te fais agresser et ce n’est pas du tout comme ça que tu imaginais les choses. Tu te voyais faire face, debout, tu te voyais plus grand, plus fort, plus courageux… »

Natacha Appanah, Tropique de la violence, Gallimard, 2016.

images (1)


20 commentaires

Kathel · 27 février 2017 à 08h21

Je tournais autour… dorénavant, je suis convaincue !

Virginie Vertigo · 27 février 2017 à 08h26

Bienvenue au club des amoureux de « Tropique de la violence ».
Pourvu qu’il ait le prix ELLE !

Hélène · 27 février 2017 à 10h18

J’ai été moins enthousiaste que toi #vilaine 😉

Joëlle · 27 février 2017 à 10h32

Magistral ! Je n’ai rien de plus à ajouter !

lucie · 27 février 2017 à 11h03

tu es la seule qui me donne vraiment envie d’essayer. Merci.

luocine · 27 février 2017 à 11h32

je pensais avoir déjà lu un roman de cette auteure mais je ne sais plus. Evidemment avec un peu de courage je lirai celui-là. Tu en parles avec une telle conviction!

Noukette · 27 février 2017 à 11h44

Je n’ai toujours pas sauté le pas, peut-être que ce n’est pas encore le bon moment…! Mais j’y viendrai, promis !

Jerome · 27 février 2017 à 12h55

Tu es une vilaine, tu sais y faire pour donner envie (enfin je me comprends… 🙂 )

Folavril · 27 février 2017 à 12h57

Comme tu le dis si bien, l’écriture de Nathacha Appanah est sublime, et c’est un roman magistral oui… très envie de retrouver son écriture avec ses autres romans.

Emma · 27 février 2017 à 13h21

Bon, avec un tel avis il ne me reste plus qu’à me le procurer 🙂

livresetbonheurs · 27 février 2017 à 13h27

Ohlala tu donnes envie de se ruer dessus ! 🙂

Marie-Claude · 27 février 2017 à 14h26

Impossible de passer tout droit. Tes mots enfoncent le clou. Il me le faut. Dès qu’il paraîtra en poche, je saute dessus.

Edyta · 27 février 2017 à 20h42

J’espère que Nathacha Appanah remportera ce prix. Il serait vraiment mérité.

Delphine-Olympe · 27 février 2017 à 21h51

J’avais lu un précédent roman de l’auteur qui ne m’avait pas éblouie. Du coup, je n’étais pas très chaude pour celui-ci. Mais tu n’es pas la première à en souligner la grande qualité… On verra.

Moka · 28 février 2017 à 08h12

Je ne lis que du très beau sur ce titre…
Tu donnes envie ma Framboise.
<3

gambadou · 28 février 2017 à 18h12

Tout à fait d’accord, un uppercut ce roman

Mo · 1 mars 2017 à 14h00

Ouhh ! Hâte de le découvrir !!! Et vu qu’une bonne fée l’a mis entre mes mains… 😉

Alex-Mot-à-Mots · 2 mars 2017 à 18h02

La fin en apothéose m’a scotchée.

Virginie · 7 mars 2017 à 12h51

Un indispensable ce roman, pour la plume de Nathacha Appanah qui m’avait déjà bouleversée dans « Le dernier frère », et pour cette histoire forte, cette violence, et pour que l’on se rende compte de ce qui se passe « ailleurs en France »…Un coup de coeur pour moi aussi !

Laisser un commentaire

Emplacement de l’avatar

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *