Deux mètres au-dessus du sol. C’est le minimum pour que Marje se sente bien. A sa place. A regarder la vie s’écouler au travers du pare-brise de son poids lourd. Vingt-cinq ans que Marje passe le plus clair de son temps à manger le bitume et à respirer les odeurs de pots d’échappement sur les aires d’autoroutes. Un monde d’hommes bourrus et machos dans lequel elle a réussi à faire sa place sans trop avoir à ruer dans les brancards. Question de tempérament peut-être, de grande gueule aussi sans doute. Question de survie aussi.
Sur la route, Marje est libre. Un peu comme l’escargot qui se balade avec sa maison sur son dos. La maison de Marje, c’est sa « Belle Rouge », l’endroit idéal pour tenter d’oublier que la vie ne lui a pas toujours réservé de belles surprises…
Kader a pris le large. Une bouffée d’air qui était devenue plus que nécessaire. Impossible de respirer dans ce centre où on l’enferme soit disant pour son bien. Impossible de pousser droit sans ses repères qu’il n’a fait que toucher du doigt il y a bien trop longtemps déjà. Des familles d’accueil et des foyers transitoires, il en a épuisés un paquet depuis le départ de sa mère quand il n’avait que 7 ans. Et puis il a déconné. Là où il vit maintenant, on le surveille comme de l’huile sur le feu, histoire qu’il ne dérape pas. Mais Kader a reçu une lettre. Il est temps pour lui de prendre son destin en mains, même si pour ça il faut sortir des clous dans lesquels on voudrait qu’il avance. Cette portière de camion ouverte, c’est l’espoir d’un ailleurs qu’il appelle de tous ses vœux…
J’aime beaucoup les histoires qui se tissent autour de rencontres improbables, surtout quand elles mettent face à face deux êtres qui se cachent sous une épaisse carapace. Le genre de rencontre explosive qui pousse chacun dans ses retranchements en faisant petit à petit ressortir ces failles et ces démons qui les rongent. Il faut du temps pour faire confiance, pour se faire confiance. Un pas en avant, deux pas en arrière, pas si évident de se dévoiler à cet autre qu’on ne s’est pas choisi. Mais quitte à faire un bout de chemin ensemble, autant faire un petit accro à cette sacro-sainte solitude dans laquelle on se complait par facilité… Alors, au milieu des silences partagés, Kader et Marje parlent. Apprennent doucement à se connaître. A s’apprécier. A panser leurs blessures. C’est finalement dans la douleur qu’éclosent les plus belles amitiés…
Anne Loyer sait raconter ces histoires là. Avec tendresse et humour, bienveillance et sensibilité. La balade qu’on fait aux côtés de Marje et Kader est de celles que l’on aimerait prolonger tant ces deux-là savent se rendre attachants. Une vraie belle rencontre !
Et une nouvelle pépite jeunesse que je partage avec Jérôme, comme chaque mardi (ou presque…)
L’avis de Pépita
Premières phrases : « Il ne sait même pas pourquoi il est là. Avec sa basket gauche trouée, son blouson ouvert aux quatre vents, son sac à dos à moitié vide, sa caboche pleine à craquer. Il est là. Debout. Raide comme un piquet sur ce bitume sale et luisant. En transit. En partance. En attente. Les yeux grands ouverts sur la nuit qui ne veut pas finir. Lourde, opaque, mystérieuse. Et après, il se passe quoi ? »
Au hasard des pages : « Kader est juste devant elle. Il marche vers la belle rouge, avec la démarche chaloupée du mec à qui on ne la fait pas. Et pourtant… En fouillant dans son sac, Marje est tombée sur son portable. Et, comme Marceline avait du monde à la caisse, elle l’a allumé. Pourquoi ? Elle n’en sait rien. L’intuition ou le destin. Il y avait un message. Une voix d’homme qui parlait de Kader, qui disait de rappeler, qui parlait d’urgence, de fuite et de centre. Elle regarde Kader. Elle sait son prénom, d’où il vient, où il va. Elle devine sa vie pourrie, sa colère, sa peur. Il est tout seul avec cette liberté qu’il a volée ce matin. Une liberté tellement précaire. De dos il semble tellement mince, fragile, hargneux, seul… » (p. 101)
Éditions Alice (Octobre 2015)
Collection Tertio
134 p.
Prix : 12,00 €
ISBN : 978-2-87426-267-8
13 commentaires
luocine · 19 avril 2016 à 04h08
Une pépite pour quel âge?
Anne Loyer · 19 avril 2016 à 07h58
Tellement émue par cette lecture-là…
pépita · 19 avril 2016 à 09h33
oui, un bien beau roman, délicat et sensible, brut et doux, plein d’espoir, beaucoup aimé !
je dirais qu’on peut le lire à partir de 13 ans.
Jerome · 19 avril 2016 à 12h29
Je ne pense pas qu’Anne Loyer nous décevra un jour. Et puis nos auteurs chouchous en littérature jeunesse, ils sont peu nombreux mais on y tient !
Léa Touch Book · 19 avril 2016 à 13h21
Pépite littéraire que je lirai avec plaisir grâce à vous 🙂
gambadou · 19 avril 2016 à 21h25
J’ai aimé l’histoire, mais j’ai trouvé les personnages un peu trop caricaturaux
A_girl_from_earth · 19 avril 2016 à 22h34
Pfff je ne suis décidément plus à la page côté auteurs jeunesse… Celle-ci me rend assez curieuse.
Moka · 20 avril 2016 à 18h28
Un titre sur ma LAL ! J’y viendrai tu t’en doutes.
Gwenaëlle · 21 avril 2016 à 09h39
J’ai délaissé, ces derniers temps, les auteurs « jeunesse », mais entre tes avis et ceux de Jérôme, je sens que je vais m’y remettre dare-dare!
Océane · 22 avril 2016 à 10h39
Beaucoup d’émotion qui se dégage de ton avis 🙂
Nadael · 28 avril 2016 à 10h30
Une auteure que je n’ai pas encore lu… ça viendra sûrement!
La Belle Rouge | Glaz magazine · 23 mai 2016 à 07h04
[…] par Noukette et Jérôme, ce roman jeunesse est un beau livre plein d’humanité et de tendresse cachée. […]
La Belle rouge– Anne Loyer – Mes pages versicolores · 16 juin 2017 à 00h10
[…] ne peux pas terminer ce billet sans remercier Jérome et Noukette qui m’ont gentiment offert ce livre! Merci à […]