A croquer – Anne-Fleur Multon

Marie-Maud ne veut plus être invisible. À seize ans, elle veut les yeux sur elle, tous les yeux. Ceux des hommes qui disent le désir, ceux des femmes qui disent l’envie, la jalousie, même la haine pourquoi pas. Exister. Être une autre tout en étant pleinement elle-même. Apprivoiser le feu qui couve en elle. Dompter ses envies qu’elle n’arrive pas encore à bien cerner. Aimanter les regards…

Marie-Maud a décidé d’être vue. Et qu’on ne l’oublie pas. Robe chemise, cuissardes, look de lolita, le changement est radical en ce jour de rentrée et fait monter la fièvre chez les garçons du lycée. Marie-Maud voulait tout ça. L’image qu’elle renvoie, mélange de femme fatale et de femme enfant, excite le désir des hommes qui observent leur proie et se muent en prédateurs. Dans les rêves et les fantasmes de Marie-Maud, il y a des hommes oui, qui la veulent, qui la convoitent. Dans la vraie vie, ces hommes sont là aussi, plus directs, moins subtils, moins patients, prêts à la croquer.

bientôt ce sera la nuit noire

l’arrêt la rue Émile-Zola la bise devant le lycée les cours

pendant la journée

l’année est commencée elle va dérouler son rythme lent

agraire

septembre octobre

semailles

novembre décembre

maturation

janvier

contrôle de la terre

Mais cette année Marie-Maud refuse

elle se le jure en s’endormant :

le temps ne va pas lui échapper.

Cette année c’est la sienne

totalement,

tendrement,

tragiquement.

Rouge sang. Rouge désir. Le creux d’une nuque… La couverture donne le ton d’une lecture qu’on ne peut s’empêcher de dévorer à pleines dents. L’écriture de Anne-Fleur Multon est incroyablement moderne, la forme, elle, séduit instantanément. Les vers libres racontent l’adolescence dans toutes ses errances, dans toutes ses nuances, dans toute son ambivalence. Les mots scandent le désir, vibrent au gré des pulsations des cœurs et des corps et ne se mettent pas d’œillères. C’est à la fois très juste et très actuel. Moderne, féministe, engagé et plein de rage. Très belle découverte, mordante comme j’aime, dans cette collection brillante toujours aussi chaudement recommandée.