« L’absence d’Eugène commence à bien connaître le jardin. Elle grignote les feuilles de menthe, épouvante les mésanges.
Elle est sans-gêne, l’absence d’Eugène.
Tatiana a épuisé son quota de questions.
Encore un « Il n’est pas là, Eugène ? » et Lensky comprendra que ce n’est pas de la politesse mais de la passion.
Après le lendemain, le surlendemain, et le sur-lendemain d’espérance inhumaine, Tatiana se met à attendre l’arrivée désormais quotidienne de l’absence d’Eugène. »
Tatiana a 14 ans et des rêves plein la tête. En perfusion, les histoires d’amour belles et tristes dont elle s’abreuve jusqu’à plus soif. Quand elle croise Eugène, un peu par hasard et par désœuvrement, celui ci prend à la légère ses battements de cils et de cœur qui s’emballe. Du haut de ses 17 ans, arrogant et nonchalant, le jeune homme prend la pose pendant que Tatiana se meurt d’amour en secret, comme toute héroïne romantique qui se respecte. Ils se rapprochent, s’effleurent, se content délicatement fleurette, « maladroits comme des feuilles, Tatiana friable, Eugène fanfaron (…) elle traversière, lui basson ». Il lui brisera le cœur en haut d’un escalier en répondant de façon abrupte à ses timides et maladroites tentatives de déclaration enflammée…
Tatiana a 24 ans et la tête sur les épaules. Quand elle recroise Eugène, le destin facétieux s’en mêle et fait à nouveau résonner les amours malheureuses du passé. Si la jeune fille a depuis mis au rencart sa naïveté d’adolescente, elle ne peut empêcher les sentiments de ressurgir. Face à elle, l’adolescent inconsistant est devenu un homme qui assume ses erreurs et pense enfin savoir ce qu’il veut. Elle. Entière. Tout le temps. Rien qu’à lui. La parade d’amour a des allures de ballet et les deux amants se cherchent plus qu’ils ne se trouvent vraiment. Certaines heures douloureuses ne s’effacent pas quand d’autres questions méritent des réponses…
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Un numéro de funambule. Clémentine Beauvais se joue du vide et des conventions du roman adolescent en rendant un vibrant hommage à l’œuvre de Pouchkine qu’elle réinterprète avec virtuosité. La forme peut surprendre mais séduit instantanément. Des vers pour dire l’amour et l’attente, le désir et les regrets étouffés, une évidence finalement… Incroyablement moderne, on se glisse avec bonheur dans cette histoire d’amour qui n’a finalement rien d’original. Parade amoureuse, cœurs qui s’emballent, papillons dans le ventre, atermoiements, hésitations et timides pas en avant. Le temps passe et l’histoire semble se répéter. Mais le passé laisse des traces et la vie n’offre pas tant que ça de secondes chances…
Songe à la douceur est un beau roman, atypique et audacieux. Vibrant et réjouissant tant il mêle avec bonheur émotion et comédie. Je me demande comment les (grands) adolescents à qui il se destine accueilleront cet OVNI. Assurément, ils n’auront jamais rien lu de pareil. Certains seront sensibles à la jolie petite musique qui se dégage de ces pages. D’autres resteront en retrait. J’ai pour ma part tourné les pages avec gourmandise et sourire aux lèvres, regrettant presque de ne pas avoir lu « l’original » pour en percevoir toutes les subtilités. Ces deux histoires d’amour qui n’en font qu’une ont eu de biens jolis échos dans mon cœur de midinette…
Une pépite jeunesse qui relance avec éclat le rendez-vous-chouchou que je partage avec Jérôme, comme chaque mardi ou presque. Une lecture à qui nous avons logiquement voulu associer la jolie Moka, qui avait si bien parlé de Eugène Onéguine le mois dernier…
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Éditions Sarbacane (Août 2016)
Collection Exprim’
248 p.
Prix : 15,50 €
ISBN : 978-2-84865-908-4
2/18
Challenge 1% rentrée littéraire catégorie « Touche à tout »
chez Hérisson et Léa Touch Book
12 commentaires
Moka · 23 août 2016 à 01h08
Quelle jolie histoire et quelle prouesse narrative ! Ravie de partager cette lecture avec vous et de m’inviter dans le retour de ces si jolis mardis.
Leiloona · 23 août 2016 à 08h46
La rentrée des pépites démarre fort ! 😀 Noté, forcément ! Je me demande aussi comment les collégiens accueilleront ce livre, j’en connais déjà à qui il plaira.
fanny · 23 août 2016 à 09h07
J’aime beaucoup Clémentine Beauvais, son blog est devenu un des sites sur lequel je me rends le plus ! Ce livre est très tentant, j’aime la double temporalité ! Merci pour la découverte, et vives les pépites !
framboise · 23 août 2016 à 10h15
Punaise … ce billet ma Noukette il m’a retourné le cœur <3
faelys · 23 août 2016 à 12h13
encore plus pressée de le lire maintenant !
Jerome · 23 août 2016 à 12h32
Il fallait au moins ça pour nous remettre le pied à l’étrier. Et une seconde LC avec vous deux, c’est que du bonheur <3
celina · 23 août 2016 à 18h15
C’est superbe ! De vrais calligrammes. Et quelle belle idée de nous plonger dans Pouchkine.
Un grand merci pour ton billet, il me tarde de découvrir ce roman
luocine · 23 août 2016 à 19h47
J’ai bien envie de le lire, pourtant je ne suis plus ado depuis bien longtemps.
antigone · 23 août 2016 à 21h57
Voilà qui donne envie !! 😉
Azilis · 24 août 2016 à 09h49
Une très jolie chronique pour un magnifique roman!! <3
Léa Touch Book · 25 août 2016 à 09h09
C’est un livre très émouvant ! 🙂
Stephie · 25 août 2016 à 09h14
Trop envie de le lire maintenant…