histoire du garçon

On est obligés de vivre sans tout comprendre de tout, se contenter de voir revenir les chiens de leurs courses éperdues et la fièvre tomber, voir les roses défleurir et se faner, en faire des bouquets avant qu’elles ne disparaissent. Ce n’est pas la peine de faire allégeance à des fées, des anneaux maléfiques, des orcs, gobelins ou Dark Vador, pour empêcher qu’arrivent les choses qu’on ne voudrait pas, rien ne fonctionne. Je sais, j’ai essayé. Alors j’ai pris ma pelle et mon seau et je me suis débrouillé. Et puisque cela n’a pas vraiment fonctionné, je n’ai plus qu’à faire un trou pour enterrer mon chagrin dedans et moi avec.

A deux, on est plus forts, c’est bien connu. Et à trois, on est forcément indestructibles. Lui, Cali et Rubens le chien avancent dans la vie comme une entité. Et elle est plutôt belle la vie, linéaire et sans mauvaises surprises, sans accrocs, sans grains de sable qui viendraient enrailler la machine. Lui passe son temps à rêver, Cali sa sœur jumelle pallie à ses petits oublis et permet au duo de rester dans les clous, Rubens, lui, passe son temps à courir derrière sa balle…

Jusqu’au jour où Rubens disparait. Il a couru un peu trop vite, un peu trop loin. Il lui arrive de fuguer oui, mais là, il ne revient pas. Premier grain de sable…

Jusqu’au jour où Cali se retrouve à l’hôpital pour un mal trop grand pour elle. Un mal qui la ronge de l’intérieur et s’insinue partout. Un mal qui terrasse ses parents autant qu’il la diminue. Et arrivent les silences, les larmes qu’on ne prend plus la peine de cacher, les questions sans réponses, la vie entre parenthèses. Deuxième grain de sable…

Je suis souvent le nez au carreau, inerte ; sans ma sœur, je suis en vie mais sans envie, elle est ma boite à idées. Elle seule saurait mettre un bon coup d’accélérateur pour faire exploser en le pénétrant le nuage de morosité, faire valser de la couleur sur tout cela ou transformer le ciel en canon à neige, qu’il en tombe à gogo, qu’on puisse entendre nos pas crisser, qu’on parte elle et moi en tournoyant vers une aventure et un arc-en-ciel qu’elle aura imaginés, qu’elle me tende sa main glacée et éclate de son rire qui me manque tant sous son bonnet de grosse laine vert et orange à pompon et oreillettes.

Dans son imaginaire d’enfant, le jeune frère érige des barrières face à la douleur pour qu’elle ne le détruise pas comme elle anéantit ses parents. Il doit y avoir une solution pour faire revenir le soleil, les rires… et Cali. Il doit y avoir une solution pour que son petit monde se remette à tourner dans le bon sens. Retrouver Rubens. Oui. Elle est là la solution. Quand il a disparu, le malheur a pris ses quartiers dans leur maison. Retrouver Rubens c’est guérir sa sœur… Une évidence.

Il faut remettre de l’ordre dans le chaos qui nous met en état de sidération : je suis, donc je peux. Retrouver le chien est de l’ordre du possible, il suffit de chercher : si je réussis à ramener Rubens à la maison, interagir avec le destin et participer à la restauration des choses, alors le hasard biologique des maladies, tumeurs et autres véroles verront de quel côté est la Force, il ira se faire pendre ailleurs.

Mince, ce roman… Dès les premières lignes, dès les premières pages, j’ai été prise en otage… Il chamboule ce roman, il détruit tout sur son passage tant il est triste et beau. Profondément triste et profondément beau. Je découvre la plume d’Hervé Giraud. Elle m’interpelle, elle vient me chercher, elle me bouscule et me réveille. J’aurais du mal à apposer une étiquette sur cette lecture. Littérature jeunesse ? Peut-être oui, mais tellement plus que ça. L’écriture a quelque chose d’atypique et d’hypnotisant. Du jamais lu en ce qui me concerne. Une capacité à faire naître la lumière dans les moments les plus sombres. L’émotion pure au cœur d’une vie qui se délite. Le mot qu’il faut, la petite touche d’humour, de doux et de moelleux, le beau quand l’espoir semble se carapater…

Je suis admirative oui, admirative et bien embêtée parce que je ne sais pas entre quelles mains glisser ce roman qui m’a mise KO… Et cette image que je n’oublierai pas, magnifique et poignante, des jumeaux enlacés dans un hamac au cœur de la nuit comme un dernier pied de nez au destin cruel qui veut les séparer… Lisez le, oui, lisez-le, c’est une pépite… Une pépite à part que je partage avec Jérôme, comme chaque mardi ou presque…

L’avis de Pépita

 

Éditions Thierry Magnier (Mars 2016)

128 p.

 

Prix : 10,50 €

ISBN : 978-2-36474-838-5

 

pepites_jeunesse


10 commentaires

luocine · 21 juin 2016 à 00h08

Un livre qui s’adresse à un large public peut très bien plaire aux adultes comme aux ado. Tu le racontes avec une telle passion que j’ai très envie de le lire également.

Fanny /Pages Versicolores · 21 juin 2016 à 09h40

Comme on dit par chez nous  » ce billet m’a mis les poils »… il m’a fait frissonner…
Une histoire avec un animal, une histoire de frère et sœur, je crois que je pourrais signer directement.

templeuve · 21 juin 2016 à 12h19

Oh ! Je referme juste ce livre quand je découvre ce billet, et j’aime autant l’un que l’autre…. Un livre à part… vraiment…

Jerome · 21 juin 2016 à 12h30

Une histoire bouleversante et superbe, comme ton billet <3

framboise · 21 juin 2016 à 12h56

Comme promis, encore une pépite qui chamboule ….
Comme d’habitude, je note …
😉

celina · 21 juin 2016 à 14h43

Ai très envie aussi de goûter au « mot qu’il faut », à  » la petite touche d’humour », au « doux » et « moelleux »…Une belle chronique, je note !!

pépita · 22 juin 2016 à 07h51

alors lis ses autres romans, tu verras, moi aussi je ne sais pas où classer ce style, vraiment atypique.

Sophie Hérisson · 22 juin 2016 à 15h35

Rien que ton billet est déjà touchant, j’imagine le livre…

Giraud · 22 juin 2016 à 21h05

La vie est triste et belle, et quand l’enfance fiche le camp, c’est pour toujours (c’est un peu la métaphore du livre). Tu l’as bien compris et tu sais si bien le dire que j’en perds le vouvoiement d’usage. Merci Noukette, ton écrit me touche infiniment.
Hervé Giraud

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