Quant à ce monde dont tu parles, qui soit disant s’effrite, et où vivent des milliers de braves gens dont ma fille et sa mère… je peux t’en parler puisque j’en viens. Ça commence doucement à ressembler à un cauchemar. Un cauchemar climatisé, sécurisé, colmaté et étanche au point d’oublier que l’eau monte. Il ne faut pourtant pas aller bien loin pour mesurer l’étendue du naufrage… Par endroits, le spectacle peut même être assez bouleversant.

On pourrait penser que ce monde-là a ravalé son arrogance, revu ses rêves de grandeur à la baisse… et que toute cette flotte aurait fait remonter un peu d’humilité. Mais c’est surtout la peur qui est remontée, et de ce que j’en ai vu, elle n’est pas meilleure conseillère qu’avant…

L’âge d’eau. Il y a bien longtemps que la terre a capitulé, submergée par les eaux qui ne cessent de monter. De leurs illusoires promontoires, les hommes ne peuvent que contempler le désastre auquel ils ont contribué, si égoïstes et si plein d’optimisme qu’ils n’ont pas vu qu’il était trop tard. Sous une mer étale, les vestiges du monde d’avant. Alors ils sont nombreux à vouloir s’accrocher aux petits bouts de terres émergées, à y construire des cabanes brinquebalantes, à tenter de s’adapter. L’essence se fait rare mais si on s’y prend bien on peut encore arriver à faire pousser quelques légumes. Pour le reste, on apprend à flotter et à se libérer des attaches..

Depuis sa barque à moteur, Hans Vogel regarde sans les voir les champs inondés et les maisons englouties. Le monde survit. Sa mère aussi. Jeannes n’est plus toute jeune mais elle se contente de ce qu’elle a. Pas question de quitter son oasis patiemment bricolée pour aller s’installer dans ces centres aseptisés et sûrs que les autorités voudraient les forcer à rejoindre. Parce qu’à bien y regarder, ça ressemble encore un peu au bonheur les bons moments qu’elle partage avec Hans et son autre fils, Gorza, ce géant muet dont elle s’occupe encore comme d’un gros bébé. Alors l’eau peut bien monter, les hélicoptères peuvent bien tourner au dessus de sa tête… Jeannes veut conserver sa liberté.

 

Quand la nature envoie un signal, l’homme ne comprend jamais le message. Il plonge dans le déni comme un gamin qui fait une connerie.

Et comme un gamin, il construit des digues.

Oui, sans voir que toutes les digues ne sont rien d’autre que les murs d’une grande prison… à laquelle il faut ajouter le formidable arsenal sécuritaire censé permettre à tout ce beau monde de poursuivre sans interruption leur voyage vers le grand vide, en classe confort, comme avant, sans avoir à remettre en question une seule seconde des habitudes de vie qui n’ont plus rien à voir avec la vie.

Possible que vous n’ayez jamais rien lu de pareil. Possible que l’univers si intense de Benjamin Flao vous emporte dès les premières planches où la plus totale désolation se mêle à la plus grande beauté. Possible que vous ressentiez un amour démesuré pour ces deux frères là et leur combat qui ne dit pas son nom. Possible que vous soyez surpris oui de voir cette histoire de fin d’un monde racontée par un étrange chien bleu aux pensées aussi prophétiques que poétiques…

Endiguer l’inexorable par une déferlante de beau. Il n’y a peut-être que Benjamin Flao pour puiser dans la colère et le désespoir des raisons de s’émerveiller encore. Si les hommes sont capables du pire, ils sont aussi capables de lutter. Et on est sous le charme de ces petits bouts de vie là, si imparfaits et tellement humains. Sublimes décors d’apocalypse, naissance d’un monde nouveau, fraternité magnifique… le voyage vaut assurément le détour. Vivement la fin de ce diptyque qui risque de faire beaucoup parler de lui ♥

Et relire, encore Kiliana song (1 et 2)

L’âge d’eau 1/2 de Benjamin Flao
Éditions Futuropolis (Janvier 2022)
160 p. / 22 / ISBN : 978-2-7548-3117-8

BD de la semaine saumon

C’était ma BD de la semaine…

…aujourd’hui chez Moka

 


14 commentaires

Natiora · 26 janvier 2022 à 08h34

Dire que je n’ai encore jamais lu Benjamin Flao. Qu’est-ce que j’attends ??

Fanny · 26 janvier 2022 à 09h37

On m’en a dit le plus grand bien! Je vais devoir capituler 😉

eimelle · 26 janvier 2022 à 16h34

rien que la couverture est magnifique! Très tentant !

gambadou · 26 janvier 2022 à 22h08

Chouette, mon fis l’a acheté et va me le prêter

Karine · 27 janvier 2022 à 01h58

Je ne suis pas fan du thème, mais ce graphisme me plait vraiment vraiment beaucoup

Lorouge · 27 janvier 2022 à 12h55

Ça a vraiment l’air bien je note !

Nathalie · 27 janvier 2022 à 18h44

Benjamin Flao, j’aime ! Et le thème me parle beaucoup. C’est noté !

Moka · 29 janvier 2022 à 18h43

Canon. Indéniablement.

Enna · 29 janvier 2022 à 23h02

Tu m’intrigues! J’ai envie de feuilleter cet album!

Vero · 30 janvier 2022 à 13h35

Comment passer à côté entre ce que tu en dis et la beauté de cette couverture ? A part le fait que qui dit diptyque, dit suite et que je ne sois pas patiente ? 😉

Mylene · 30 janvier 2022 à 17h44

tu me tentes bien là, je note de suite le titre !!

Caro · 30 janvier 2022 à 21h56

J’avais beaucoup aimé Kililana song, donc pourquoi ne pas tenter celui-ci ?

Blandine · 1 février 2022 à 08h21

La 2e citation est vraiment très forte et malheureusement transposable… Ce que tu dis de cet album me tente beaucoup, je le lirai!

Jerome · 2 mars 2022 à 18h08

J’adore Flao, c’est un dessinateur qui se fait trop rare je trouve.

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