Les chiens ils hurlent, tellement ils en ont marre de la pluie. Ils aimeraient bien prendre la route en filant tout droit et aller se rouler dans le talus entre chiennes et chiens, mais ils restent là à cause qu’on ne voit même plus ce qu’on raconte dans ce gris qui vous pleure dessus.
Et nous aussi on aimerait partir. Mais on est là, toujours dans la terre, sous les ongles et dans la bouche la terre, et dans le fond du slip aussi des fois de la terre faite maison. Partout au creux des poignets l’odeur de la crotte et de la forêt comme un morceau d’écharpe sauvage qui vous attache au sol les pieds et les poings.
Partir… mais où…? Quand on nait ici, on nait les pieds englués dans la boue et la merde, difficile de s’en défaire. L’odeur est tenace, elle s’insinue partout, elle transpire par tous les pores de la peau. L’odeur, c’est comme l’ennui… on finit par s’y habituer, on vit avec, pas le choix. Ici on grandit tout seul, avec ou sans père, finalement, c’est du pareil au même. On pousse comme les mauvaises herbes, dans les interstices où on arrive à se nicher, de traviole inévitablement, sans loi, sans garde-fou, libre mais emprisonné. Est-on jamais enfant dans ce « village de nulle part » ? Où est-elle cette part de légèreté, cette insouciance, cette naïveté chez ces jeunes désœuvrés qui végètent dans une misère poisseuse…?
Ils sont deux amis, unis depuis l’enfance par la violence d’un quotidien glauque et sans issue. Là où ils vivent, les horizons sont un vague rêve. Dans la moiteur des étés qui s’étirent, leurs heures ne riment pas avec paresse et langueur. Pour tromper l’ennui, on caillasse à mort des chiens errants ou on joue à se défier au milieu des bêtes mortes qui attendent l’équarrissage. A jamais hors-la-loi. A jamais invisibles… Et puis un jour, il faut partir, tenter de s’affranchir de ce terreau trop gris et trop gluant qui empêche les ailes de se déployer…
Pourquoi on y aurait pas tous droit, à notre coin de paradis ? Puis merde, dans toute chose il y a une part pour les anges.
J’ai été soufflée par ce premier album… Je n’ai pas lu le roman de Simon Johannin dont il est l’adaptation, je ne le ferai peut-être jamais d’ailleurs. Pas parce que l’histoire ne m’a pas plu non mais parce que j’aurais du mal à imaginer ce récit sans les aquarelles saisissantes de Sylvain Bordesoules. Tant de grâce et de beauté pour dire la violence, la misère, l’indigence… Sylvain Bordesoules capte les plus fugaces instants de lumière et la vérité de ceux qui n’existent pour personne. Sans jamais juger. Ses personnages sont comme son récit, poisseux, désespérés et pourtant bourrés d’humanité. Ils cherchent une échappatoire à cet environnement rural et désargenté qui leur colle aux baskets. Ils expérimentent, dérapent, s’essayent à une nouvelle vie sans jamais vraiment réussir à s’extraire de ce milieu qui les a façonnés. Fatal.
Préparez-vous à la déflagration. L’été des charognes n’est pas une lecture confortable mais elle résonne et marque durablement les esprits…
L’été des charognes de Sylvain Bordesoules d’après le roman de Simon Johannin Éditions Gallimard BD (Mai 2023) 288 p. / 29 € / ISBN : 978-2-07-516199-2 |
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5 commentaires
eimelle · 25 septembre 2024 à 07h52
ça a l’air très fort en effet!
Antigone · 25 septembre 2024 à 08h12
J’aime beaucoup les dessins mais ça n’a pas l’air très confortable à lire en effet, dérangeant. 😉
Nathalie · 25 septembre 2024 à 08h24
Ouch ! ça n’a pas l’air d’une folle gaité…
Iluze · 25 septembre 2024 à 14h43
Cela me fait penser à Steinbeck à première vue dans la manière d’aborder la ruralité. Je le note pour plus tard.
Moka · 25 septembre 2024 à 17h15
J’ai lu le roman à sa sortie et je n’en garde aucun souvenir. Je réactiverai toussa avec cet album.