Deux frères. Laurent et William. L’un a mal tourné, tombant assez tôt dans les combines louches et les sombres magouilles, évoluant dans le milieu du petit banditisme marseillais au côté d’apprentis mafieux. Jusqu’à ce vol de tableau au musée des Beaux-Arts de Nice qui lui fera passer quelques années à l’ombre. A sa sortie, il s’envole pour la Floride et laisse son jeune frère sans nouvelles…
William est photographe. Du moins c’est son gagne-pain, celui qui lui permet d’attendre sans trop d’inquiétude son statut d’intermittent du spectacle. Il photographie des mariages. Jusqu’à ce mariage à Manosque qui tourna au carnage. Un braquage. Des blessés. Et l’un des bandits, abattu, qui se trouve être un ami de Laurent. Des détails intrigants sur les clichés pris avant et après la tourmente qui pointent tous vers Laurent toujours aux abonnés absents…
William prépare sa valise, prend son appareil photo et s’envole pour Miami. Son histoire, sa quête, il a l’intention de la raconter sous forme de récit photographique. Des lieux, des noms, des dates, autant d’indices qui sont censés le mettre sur la piste de son frère disparu. C’est ce carnet de route que le lecteur a sous les yeux sauf que…
« Toutes les photos étaient là. Des tirages papier. A partir de négatifs Celluloïd ou de la carte mémoire de mon appareil numérique. Je les avais décortiquées. J’avais aligné les plus importantes dans un cahier. Après en avoir recadré certaines et agrandi d’autres. Mais elles ont toutes disparu. Effacées-évanouies-évaporées dans le grand vent vaudou. Plus aucune trace nulle part.
Ne restent maintenant que les légendes. Des dates, des lieux, des noms. Et des phrases. J’espère que ces légendes racontent une histoire claire malgré l’absence des photographies qui les accompagnaient. »
Un album photos dont il ne reste que les légendes… Des légendes qui racontent…
« des disparitions « out of nowhere » et des déflagrations « out of the blue ». Des cubains paranoicos-banditos-locos. Des Haïtiens semblables à des serpents. Marseille si loin et si tranquille. Alors que les cadavres fleurissaient en Floride. »
De grands carrés gris. Des grands vides. Des béances comme des cicatrices. L’absence qui saute aux yeux. Les photos étaient là et elles ne le sont plus. Le lecteur ne peut qu’imaginer et se faire son propre film des évènements. Et c’est là qu’intervient tout le talent insolent de Guillaume Guéraud. Parce qu’on les voit ces photos. Elles sont là. Anodines. Troublantes. Inquiétantes. Sanglantes… On les voit les bas-fonds de Miami, on les devine les trognes pas commodes des trafiquants à la mode Scarface. Et on y croit à fond.
La plume est affutée, le style toujours percutant, acéré, presque cinématographique. Au-delà des photographies fantômes, Guillaume Guéraud nous raconte une vraie histoire en prenant le mal à la racine. On ressent sa patte, on reconnait son empreinte, même s’il semble parfois prendre son temps. Et j’ai aimé cette lenteur là. Ce crescendo dans l’angoisse, cette montée d’adrénaline au fur et à mesure que l’enquête comble les brèches, ce calme avant la tempête… Le résultat est imparable. C’est frénétique. Déconcertant. Malin. Et totalement addictif..!
Un polar hors normes que j’ai pris grand plaisir à partager avec Jérôme
Bonus : le « making-of » de Shots
Premières phrases : « Il y avait toutes les images. Elles constituaient des preuves plus valables que les phrases. Je les avaient triées-classées-cataloguées. Je les avait posées telles des balises, de façon à raconter cette histoire avec elles, sous forme de récit photographique. Je les avais vues et revues. Un nombre incalculable de fois. Et j’avais découvert des choses. Je les avais examinées attentivement et minutieusement. J’avais entouré des visages et souligné des détails. J’avais pris des notes. J’avais fait ma petite enquête. Et j’avais découvert de nouvelles choses. »
Au hasard des pages : « Laurent toujours introuvable. Sans adresse. Sans réponse à mes mails. Sans rien de valable pour le croire encore vivant. Je patauge dans le flou. Dans le marécage de l’incertitude et des soupçons. Dans la vase partout et nulle part à la fois. Entre le grand n’importe quoi vaudou à Little Haïti et les verres de rhum à Little Havana. Jusqu’aux lugubres marais des Everglades. » (p. 171)
Éditions du Rouergue (Avril 2016)
Collection La brune
280 p.
Prix : 19,80 €
ISBN : 978-2-8126-1039-4
14 commentaires
Margotte · 22 avril 2016 à 08h48
Voilà un bon petit polar 🙂 En plus, j’aime bien cette collection du Rouergue.
luocine · 22 avril 2016 à 09h26
Même pour moi qui n’aime pas trop les polars , pour un peu, je me laisserais bien tenter . Un peu seulement.
L'Irrégulière · 22 avril 2016 à 09h53
Je ne lis pas de polars, donc c’est réglé 😉
Océane · 22 avril 2016 à 11h34
Ton avis est plutôt enthousiasmant, mais je n’accroche pas aux extraits.
jerome · 22 avril 2016 à 16h16
Déconcertant et malin, je suis d’accord. J’ai eu peur que ça ne s’emballe pas et qu’on reste en eaux troubles mais calmes, comment ai-je pu douter de Guéraud 🙂
cartonsdemma · 22 avril 2016 à 17h50
C’est tentant!
Alex-Mot-à-Mots · 22 avril 2016 à 18h09
Je mourrais pas gibier : je savais bien que je connaissais cet auteur. Je note les yeux fermés (enfin presque).
Sandrine · 22 avril 2016 à 19h16
Bien évidemment, je note ! J’adore l’auteur…
Une ribambelle · 22 avril 2016 à 19h45
Quel engouement !
Moka · 23 avril 2016 à 10h28
Une lecture pas banale pour un auteur pas banal avec un blogueur pas banal. ^^
Tu sais évidemment tout le bien que je pense de Guéraud…
faelys · 24 avril 2016 à 12h29
je suis mauvaise conseillère en polars, n’en lisant pas moi-même. Alors ton billet est plus que bienvenu, parce que je cherche quand même des bons titres à recommander quand on m’en demande, et que je sais qu’avec ton avis, je suis sûre de ne pas me tromper… 😉
Fanny /Pages Versicolores · 25 avril 2016 à 10h27
J’ai un peu de mal avec les polars, soit ça me stresse (c’est grave 😉 ) ou alors je trouve ça ennuyeux…Mais comme toujours tu arrives à me convaincre d’essayer. 🙂
Nadael · 28 avril 2016 à 10h31
Encore un auteur à découvrir…
Marion · 28 avril 2016 à 22h35
J’aime beaucoup Guéraud, il me faut celui là !