Tu as longtemps eu peur de la nuit avec cette croyance ancrée que l’on est plus fragile et plus vulnérable dans l’obscurité.
« La nuit, la mort rôde et visite les vivants. On peut se lever et suivre les morts sur un simple malentendu. Au premier rayon de soleil, ils se volatilisent et disparaissent. J’ai longtemps eu peur de la nuit. Dormir dans ma valise les tenait à distance. »
Suzanne avait noté cette phrase d’Arsène. Il en avait trop raconté. Suzanne le remercia et se leva à son tour. Leur « au revoir » sur le trottoir fut expéditif, chacun pris la direction opposée, les yeux vagues comme s’ils ne pouvaient sortir l’un et l’autre encore de leurs pensées profondes. »
Dans la valise d’Arsène il y a la vie d’avant. Des souvenirs qui s’estompent, des visages qui disparaissent, des rêves qui s’évanouissent…
Dans la valise d’Arsène, il y a les cris et le sang. Des images imprimées sur la rétine, des battements de cœur qui s’emballent, des adieux impossibles à prononcer, la fuite vers l’inconnu…
Dans la valise d’Arsène il y a l’espoir d’une vie meilleure. Ailleurs. Loin des siens et de la terre qui l’a vu naître. Des sourires à réapprendre, des cauchemars à faire taire, des peurs à apprivoiser…
Dans la valise d’Arsène il y a l’avant et l’après. Le Rwanda tatoué au cœur. La France comme refuge. Et tout ce qu’il y a entre et qu’il peine à mettre en mots…
Mais dans la vie d’Arsène maintenant, il y a Suzanne, une fée tombée du ciel. Ce qu’il ne peut pas dire, elle va l’écrire. Arsène va enfin pouvoir exorciser sa « peur de la nuit » et savoir qui il est vraiment. Un cheminement intime dans lequel Suzanne va l’accompagner avec ses propres béances.
Un court roman qui ne souffre pas qu’on le pause. Une impression de mots murmurés, une confession qui touche en plein cœur et met la boule au ventre. La rencontre est belle. Petit à petit, les verrous se lèvent et la respiration reprend, sur un tempo plus lent et plus serein…
C’est avec beaucoup de sensibilité et de justesse que Yasmine Ghata revient sur le génocide rwandais. Elle dit la folie des hommes, l’horreur innommable, les cicatrices indélébiles. Elle dit la fuite et l’exil, le déracinement, la vie ailleurs et l’oubli impossible. Elle dit le traumatisme et les marques au fer rouge dans la chair et l’âme. Elle dit la soif de vivre et de survivre. En parallèle de l’histoire d’Arsène, écrite à la deuxième personne du singulier, celle de Suzanne qui la replonge dans un passé douloureux où plane l’absence du père…
Un roman tout en retenue qui ne force pas le trait. Une plume simple et sans artifices qui déroule le fil du passé et ouvre une fenêtre sur l’avenir. Un beau roman.
Les avis de Charlotte, Cryssilda, Jostein, Mimi Pinson
Éditions Robert Laffont (Août 2016)
155 p.
Prix : 16,00 €
ISBN : 978-2-221-19566-6
22/18
Challenge 3% rentrée littéraire catégorie « Touche à tout » réussi
chez Hérisson et Léa Touch Book
13 commentaires
Laure · 13 octobre 2016 à 08h08
Ce que tu en dis me fait vraiment penser à Petit pays.
L'Irrégulière · 13 octobre 2016 à 09h57
Comme Laure !
clara · 13 octobre 2016 à 10h24
Petit pays m’attend mais je note pour plus tard.
gambadou · 13 octobre 2016 à 10h33
Tu es très tentante. C’est noté !
Nicole G · 13 octobre 2016 à 17h14
Ça m’a l’air très fort… mais c’est vrai qu’il va sans doute être éclipsé par Petit Pays en termes de visibilité médiatique même s’il est certainement très différent dans son contenu et dans sa forme.
Je le garde à l’esprit, si l’occasion se présente.
Virginie · 14 octobre 2016 à 07h20
Je l’ai repéré ! J’espère ne pas être tentée de le comparer à « Petit pays »..
Alex-Mot-à-Mots · 14 octobre 2016 à 09h09
Ton billet me donne envie de le découvrir.
jerome · 14 octobre 2016 à 16h23
Il m’attend. Je devrais aimer, non ?
(très joli billet, une fois de plus…)
Léa Touch Book · 14 octobre 2016 à 19h32
J’ai beaucoup aimé cette lecture 🙂
luocine · 15 octobre 2016 à 13h03
tant de gens en souffrance aujourd’hui, c’est bien de raconter et de lire leurs histoires; je retiens ce titre.
Mo · 17 octobre 2016 à 07h16
Un roman coup-de-poing, ça me plait ça !
Delphine-Olympe · 12 décembre 2016 à 09h53
Je pense que ton billet est passé à un moment où j’étais peu disponible… Je suis contente de le lire à présent, et je partage entièrement tout ce que tu dis.
Je vais ajouter le lien sur mon blog. On parle trop peu de ce très beau récit, éclipsé par Petit pays.
J’ai longtemps eu peur de la nuit – Yasmine Ghata – Mes pages versicolores · 17 février 2017 à 00h27
[…] beaux billets de Marie-Claude, Noukette et de Delphine-Olympe (grâce à qui j’ai découvert ce […]