Une urgence. Partir loin. Vite. Laisser derrière elle l’ombre inquiétante qui jamais ne se lasse. Oublier la voix lancinante, insistante. Il faut fuir, distancer celui qui n’entend pas, ne veut pas entendre…

Dans la nuit inhospitalière, elle presse le pas. Il la talonne, se rapproche, se fait tour à tour menaçant ou mielleux. Elle l’a remarqué il y a plusieurs jours déjà. Depuis, chaque jour, il ne cesse de réapparaître. Il veut qu’elle le voit. S’impose. En impose aussi. Il n’a pas pour habitude qu’on lui résiste. Pas l’habitude qu’on le repousse d’un implacable « laisse-moi ». A lui on ne dit jamais non…

Alors le long du fleuve toutes elles fuient avec elle, la cohorte de femmes qui hurlent depuis des siècles la même prière vaine, l’écrivent dans la buée, la griffent aux visages, la bégaient, la jettent aux rafales, la martèlent de leurs bottes aux courses effarées :

les filles des sables enlevées aux portes du désert, serrées en bouclier de peau

les paysannes captives des maisons incendiées, cédant au feu plutôt qu’aux hommes

les femmes de chambre acculées par le maître au fond d’un cagibi

les jeunes actrices cloîtrées en proies dans des bureaux du cent dixième étage

les nièces tremblantes que les oncles visitent la nuit

les duchesses de Fragonard, verrou tiré sur leurs terreurs

les marionnettes chères aux Don Juan (…)

Un roman graphique court et percutant qui ne souffre pas qu’on le pose. On ne peut que le lire d’une traite, presque essoufflé, épuisé de devoir calquer son rythme cardiaque sur celui de cette jeune fille qui tente de prendre la fuite devant celui qui est clairement devenu une menace. Elle est Daphné poursuivie par Apollon. Elle est toutes ces femmes dont les cris souvent s’étouffent. Elle est ces femmes d’hier et d’aujourd’hui qu’on ne veut pas entendre. Bâillonnées. Harcelées. Silencieuses. Maltraitées. Oubliées. Effacées… Elle est cette voix qui s’étrangle, cette liberté qu’on bafoue, chaque jour aux quatre coins du monde…

Subtile et marquante réécriture du mythe de Daphné et Apollon aux accents incroyablement modernes. Les illustrations de Frédéric Rébéna, d’un noir et blanc profond, sont au diapason du cri poussé par Valentine Goby au nom de toutes ces femmes qu’on ne veut pas entendre…

Éditions Thierry Magnier (Octobre 2018)

52 p.

 

Prix : 14,90 €

ISBN : 979-10-352-0201-9


2 commentaires

Lorouge · 17 avril 2019 à 00h05

Feuilleté chez mon libraire, pas vraiment convaincue je l’ai reposé, tu me fais regretter 😉😏

Jerome · 24 avril 2019 à 14h37

ça a l’air très beau ! (et puis Valentine, quoi^^)

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