Quand Yvonne Lepage décède, c’est la dernière librairie indépendante de Roubaix qui s’apprête à fermer définitivement ses portes. La vieille dame, sans famille directe, a pourtant rédigé un testament dans lequel elle annonce vouloir léguer les murs, le fonds de commerce et l’appartement du dessus à Abdel Duponchelle, jeune professeur de français, fidèle de ce temple dédié aux livres depuis sa plus tendre enfance. La librairie croule sous les dettes, un géant de la vente en ligne s’installe dans la région et pourtant, contre toute attente, Abdel accepte la succession. Une évidence. Ici, c’est chez lui…
« Abdel est entré pour la première fois entre les murailles de bouquins vers ses cinq ans avec une soif de lecture à avaler tout Balzac sans rien y comprendre. Il a admiré l’échelle accrochée à la barre de cuivre qui court tout autour du magasin, vers les rayonnages élevés, les volumes hors d’âge, jaunis, dont Yvonne refuse de se défaire et qui vieillissent là comme des vieux acteurs oubliés à la bourse aux comédiens. Elle a consenti à lui vendre solennellement Ivanhoé en version résumée, pour quarante centimes de francs en pièces jaunes, un volume gâté par un verre d’eau renversé. »
Dans la librairie sobrement appelée « Livres », Abdel a découvert le plaisir de la lecture et une seconde famille à la mort prématurée de la sienne. Un lieu hanté par la personnalité de Georges, le père d’Yvonne, engagé corps et âme dans le difficile combat contre l’illettrisme et l’analphabétisme. Saïd, son petit protégé, collectionneur de mots, a appris à lire au sein de la librairie, pour lui les personnages de papier sont devenus plus que des proches. Zita, la vendeuse, a vendu son âme au diable pour travailler chez Repères, le fameux site de vente en ligne, Yvonne ayant du mal à payer son salaire. Avec leur aide et celle de Rosa, assistante sociale dans le lycée où il enseigne, Abdel va tenter de sauver le navire du naufrage. Dans les odeurs d’encres et de vieux papiers, il investit la librairie et l’appartement. Mettre le nez dans les comptes, trier le courrier, classer les archives personnelles et les cartons de photographies d’Yvonne, écho d’un conflit lointain… En fouillant les cartons, Abdel déterre sans s’y attendre un pan méconnu et sombre de la guerre d’Algérie…
« Abdel ne sait pas encore comment ressusciter la librairie à l’agonie mais il a envie de résistance, de ne pas plier l’échine. »
L’écriture de Michel Quint est un concentré de tout ce que j’aime. La langue est sublime, généreuse, inventive. Les mots coulent, la poésie est partout, surtout où on ne l’attend pas. Le format est court et pourtant aucune frustration. En peu de pages, Michel Quint arrive à brosser des portraits étonnamment justes. Ses personnages sont véritablement incarnés, émouvants, vrais… des gagne-petits, des résistants du quotidien, profondément émouvants et humains… Et si ce formidable roman est une magnifique ode au livre, à la lecture, à la littérature, il est bien plus que ça… En filigrane, les années sombres de la guerre d’Algérie, cette France multiculturelle qui se cherche encore, ces blessures encore suintantes…
Apaise le temps est une petite merveille, un bijou dont vous auriez tort de vous passer…
Les avis de Argali, Clara, Miss Alfie
Premières phrases : « La petite librairie ne quitte l’ombre de l’hôtel de ville de Roubaix à aucun moment du jour. Et aucune saison ne fait exception. Que règne cette canicule moite du Nord, le temps frileux de brumaire ou un hiver de diamant, le soleil effleure à peine sa façade. Le printemps, l’été ne sont ici qu’une idée étrangère, une nécessité acquittée en douce par la nature, comme les demoiselles en fleur se doivent d’ôter vite fait leur maillot mouillé à la plage sous une serviette mal nouée. Si on leur aperçoit le saint-frusquin l’espace d’un éclair, c’est bien le diable. »
Au hasard des pages : « Parce qu’Abel ne connaît pas les motifs de sa folie. Il y pense, les clés de la librairie et son attestation en poche, pendant qu’il rejoint Saïd et Zita au rez-de-chaussée de l’étude. Fidélité à la mémoire des Lepage, à leur œuvre d’accueil, dette humaine envers Yvonne, militantisme culturel et social pour le maintien des librairies de quartier, ou orgueil de gamin écartelé, vengeance de bougnoule blond comme on l’insultait au collège ? » (p. 33)
Éditions Phébus (Avril 2016)
108 p.
Prix : 12,00 €
ISBN : 978-2-7529-1043-1
15 commentaires
luocine · 2 mai 2016 à 07h42
Il est dans ma médiathèque et plusieurs lectrices l’ont trouvé moins reussi que ses précédents romans, je sens que je vaisnme faire une idée par moi même.
Emma · 2 mai 2016 à 08h50
Je compte bien le lire, j’avais beaucoup aimé Effroyables jardins.
Violette · 2 mai 2016 à 11h02
qu’il me tarde de le lire, je suis une de ses premières fans!!
Jerome · 2 mai 2016 à 12h30
Un bijou dont je n’ai aucune envie de me passer et qui va arriver sur mes étagères dès que j’aurais mis la main dessus !
Alex-Mot-à-Mots · 2 mai 2016 à 14h12
De cet auteur, j’avais seulement aimé Effroyables jardins.
yueyin · 2 mai 2016 à 15h26
Depuis le temps que je me promets de découvrir cet auteur 🙂
Framboise · 2 mai 2016 à 18h03
rhoooooo c’est beau ce que tu dis, et puis, tu me fais drôlement envie ….
argali · 2 mai 2016 à 20h30
Une pépite ! La langue, l’histoire, l’atmosphère… J’ai tout aimé.
Océane · 3 mai 2016 à 21h40
pas mal de gens parlent de petits bijoux, je vais me laisser tenter alors !
Yv · 4 mai 2016 à 11h02
J’aime l’écriture de Michel Quint, je vais me procurer ce livre…
clara · 4 mai 2016 à 16h55
une écriture unique !
Nicole G · 5 mai 2016 à 17h21
Et voilà… ta chronique m’a convaincue, je l’ai acheté hier 🙂
Maintenant, il attend son tour dans la file…
Une ribambelle · 9 mai 2016 à 13h26
Tu donnes effectivement très envie de le lire. Je le note. Merci 🙂
folavoine · 19 mai 2016 à 15h12
hop : dans ma commande de juin pour le CDI (les adultes à qui je propose un panier à chaque vacances , apprécieront). merci
Apaise le temps - Michel Quint - Mille et une Frasques · 28 juin 2016 à 09h10
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