« Lorsque Louise lui avait annoncé sa grossesse, il ne s’était pas posé la question d’être père, il s’était posé celle d’être aimé de Louise (…)
A cet instant, Romain se figure qu’un père va grandir en lui à mesure que l’enfant se développera dans le ventre de Louise. Comme s’il était ensemencé lui-même du désir d’éduquer, de servir de modèle, de se voir prolongé. Comme si la fonction paternelle allait pousser synchrone avec les organes du bébé. Mais cela n’était pas arrivé. Rien n’avait prospéré en Romain, que le doute, et le terrain s’était révélé fertile. »
Alors que la tempête gronde au dehors, c’est un tsunami qui s’apprête à dévaster la vie de Romain. L’arrivée d’une petite fille, un peu par hasard, dans son quotidien jusqu’alors uniquement rythmé et illuminé par la présence rassurante et enivrante de Louise. Louise son pilier, sa drogue, prête à donner naissance dans la plus limpide des évidences alors que lui peine à trouver sa place dans cet ordre subitement bouleversé… Quand les évènements se précipitent, Romain est obligé de suivre le mouvement et de se laisser porter par le tourbillon même si les doutes, la peur et la honte de les ressentir lui vrillent le cerveau au point de lui faire perdre tous ses repères.
Dans la salle de travail où il débarque en catastrophe, deux femmes s’apprêtent à donner la vie. La sienne, qui si elle vit cet instant comme un miracle, perçoit intensément l’imbroglio de sentiments dans lequel se débat Romain. Sandrine, une maman de « compétition » prête à mettre au monde sa quatrième fille seule, le mari ne pouvant accepter que cet enfant ne soit pas un garçon. Et Romain, au centre de ces femmes, déboussolé, faussement serein, incapable d’assumer cette paternité à venir, prêt à vivre une révolution dont il est loin de soupçonner l’intensité et les répercussions…
Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre en lisant le dernier roman de Laurent Bénégui. J’avais encore en tête, très présent, le délicieux moment de lecture que m’avait offert Mon pire ennemi est sous mon chapeau (dont je n’ai jamais parlé ici ce qui est proprement scandaleux tant ce roman est excellent). J’avais aimé son côté décalé, le rythme effréné, la plume précise et alerte de l’auteur et m’étais promis de le relire.
Bien au-delà de mes attentes, Naissance d’un père m’a comblée et prise par surprise… Des fulgurances d’écriture. Une histoire simple et belle, capable de faire naître une vague d’émotions parfois difficiles à contenir. Des personnages saisissants de beauté, si parfaits dans leurs fêlures, si intenses dans leurs combats intimes, si désarmants dans leurs choix…
La naissance ou ce grand saut dans l’inconnu… Laurent Bénégui nous montre un homme au pied du mur, en équilibre instable entre des sentiments « inavouables » impossibles à assumer et ce qu’on attend qu’il ressente pour cette petite fille qui s’apprête à prendre toute la place dans sa vie. Comment et à quel moment un homme devient-il père ? Par quelle magie, par quel mystère…? Comment se tisse ce lien, charnel, viscéral…?
Si le questionnement est très juste, l’histoire elle ne soufre pas qu’on la pose. En profonde empathie avec les personnages, le lecteur chemine à leurs côtés et partage leurs doutes. Parfois, en écho, les souvenirs affleurent et tout prend alors une autre dimension. En résonance, les vies de ces êtres de papier et celles, plus intimes, de nous lecteurs, se répondent, s’entrecroisent, se télescopent…
Naissance d’un père est un roman troublant et attachant qui dit à merveille ce qui se joue intimement lors d’une naissance. Une expérience unique, violente et profondément personnelle qui nous construit autant qu’elle nous déconstruit…
Les avis de Laurie, L’irrégulière, Nicole Giroud, Philisine, Syl, Yv
Premières pages : « Plus tard Alessia apprendrait qu’elle était née lors de la tempête, et qu’au moment où se jouait les premières heures de son destin des vents polaires s’écharpaient sur les barrières d’air fiévreux dressées au-dessus de l’océan. »
Au hasard des pages : « Vous êtes préparées à donner la vie, poursuivit le docteur Mauduis. On vous le répète depuis que vous êtes petites et le jour où vous avez vos règles, on vous explique que ça y est, vous êtes devenues des femmes puisque vous pouvez devenir mères… Alors que la société conforte vos homologues masculins dans l’idée que leur participation au processus est assez accessoire et plutôt brève. Croyez-moi, j’ai vu un paquet de types qui n’ont réalisé ce qui leur arrivait qu’en posant un pied dans cette salle. (…) Au fond, les hommes ont aussi quelque chose à faire naître ce jour-là. conclut-il en se redressant. » (p. 53)
Éditions Julliard (Février 2016)
238 p.
Prix : 18,00 €
ISBN : 978-2-260-02222-0
14 commentaires
Aifelle · 28 avril 2016 à 07h08
Un livre qui me tente, c’est tellement rare un père qui s’exprime sur le sujet.
luocine · 28 avril 2016 à 07h32
Je ne connais pas cet auteur qui pourtant a fait sourire beaucoup de lecteurs et lectrices . J’ai bien aimé lire ce billet , si une petite éclaircie se glisse dans mes lectures je penserai à glisser un titre de cet écrivain.
Delphine-Olympe · 28 avril 2016 à 08h12
J’aime bien le sujet, et le traitement a l’air d’être très juste. Je le note.
Alex-Mot-à-Mots · 28 avril 2016 à 10h12
Des lectures autour de la naissance en ce moment chez toi.
Framboise · 28 avril 2016 à 10h17
com il est beau ton billet, copine <3
pas lu mais évidemment un sujet qui me parle et qui me plait !!
et pis je t'embrasse fort fort fort <3
gambadou · 28 avril 2016 à 10h59
Le thème est intéressant et ton billet donne envie.
Syl. · 28 avril 2016 à 11h11
Un beau billet pour une belle histoire.
Je note le titre « Mon pire ennemi est sous mon chapeau ».
L'Irrégulière · 28 avril 2016 à 17h15
Très très joli roman !
jerome · 28 avril 2016 à 18h53
Je suis d’accord avec les commentaires précédents, très beau billet (comme toujours cela dit). Tu crois que j’aimerais ?
Philisine · 30 avril 2016 à 22h23
oui, sans problème !!! Fais nous confiance (surtout Noukette au talent littéraire irréprochable)
Kathel · 3 mai 2016 à 09h17
Eh bien, tu sembles enthousiaste ! Je n’aurais pas remarqué ce livre, pourtant sa couverture reflète bien le contenu.
Sandrion · 4 juin 2016 à 09h50
Coucou Noukette, je viens de finir ce roman et j’ai mis en lien ton billet, très fouillé et très intéressant !
Naissance d’un père | Thé, lectures et macarons · 28 avril 2016 à 11h08
[…] D’autres billets chez… L’Irrégulière, Philisine, Noukette, […]
Naissance d’un père | D'autres vies que la mienne · 4 juin 2016 à 09h52
[…] qui illustre l’histoire à plus d’un titre. Du coup, j’ai lu les avis de Noukette et Syl qui ont aimé aussi. Allez lire leurs billets à toutes les 3, plus fouillés que le mien […]