Comme un goût de plomb dans la bouche… Un cri qui s’étrangle. Une sensation de malaise qui ne fait que s’accentuer alors que l’issue, fatale, se dessine de façon inéluctable. Le pire est là, sous nos yeux. Irréversible. La honte et la mauvaise conscience, la peur et le dégoût. L’impuissance. L’incompréhension. Mais impossible de se voiler la face. Le drame a eu lieu…
Diana, huit ans, a disparu. « Yeux bleus, cheveux châtain clair, de forte corpulence, vêtue au moment des faits d’un tee-shirt rose à manches longues, d’un jean bleu et de ballerines à pétales de fleurs noires. » L’avis de recherche fait l’effet d’une bombe chez une ancienne institutrice de la petite fille. Comment oublier Diana… Cette urgence dans le regard, ce silence assourdissant, ses mots menteurs pour masquer l’horreur… Elle savait. Au fond, elle a toujours su. Comme tous ceux qui l’ont côtoyée de près ou de loin…
Comme convoqué à la barre, en un défilé macabre, chacun des protagonistes du drame témoigne. Proches, enseignants, médecins scolaires, gendarmes, assistantes sociales… seuls les parents n’ont pas droit à la parole. Des témoignages bruts, sans détours. Les faits, rien que les faits, décrits de la manière la plus mécanique qui soit. Des récits qui pointent du doigt sans véritablement accuser, qui disent les doutes, le pressentiment du danger, l’incapacité à agir. Les monologues s’enchainent, se croisent, s’imbriquent… Impuissants, aveugles ou sourds, ils auraient pu, ils auraient dû… Pendant ce temps, lentement, l’abominable piège s’est refermé autour de Diana. Mais de sa longue agonie, de ses huit années de calvaire et de souffrance, nous ne saurons rien…
Il suffisait de presque rien… Inspiré de la bouleversante affaire Marina Sabatier, le premier roman d’Alexandre Seurat fascine par son extraordinaire capacité à dire l’horreur sans jamais la nommer. Aucune surenchère, aucune indécence. La construction est imparable, le récit presque clinique, l’auteur se gardant bien de sombrer dans le voyeurisme et le sensationnel. Le tout avec pudeur et un apparent détachement. Juste l’étau qui se resserre et les voix qui disent l’effroyable banalité d’une tragédie qu’on aurait pu éviter. Oui, il suffisait de presque rien…
On referme ce premier roman abasourdi, nauséeux et profondément secoué. Malgré la nécessaire mise à distance, l’émotion ne peut que submerger tant les images qui s’imposent à nous sont inconcevables de cruauté et de barbarie… Édifiant, brillant… nécessaire.
Un vrai coup de cœur que je partage avec Leiloona, elle aussi sous le choc…
L’avis de Thalie
Premières phrases : « Quand j’ai vu l’avis de recherche, j’ai su qu’il était trop tard. Ce visage gonflé, je l’aurais reconnu même sans son nom – ces yeux plissés, et ce sourire étrange – visage fatigué, qui essayait de dire que tout va bien, quand il allait de soi que tout n’allait pas bien, visage me regardant sans animosité, mais sans espoir, retranché dans un lieu inaccessible, un lieu qui disait, Tu ne pourras rien, et ce jour-là j’ai su que je n’avais rien pu. »
Au hasard des pages : « Le frère : Je voudrais me rappeler Diana, mieux que je ne peux en vrai. Je voudrais me rappeler tout ce que Diana et moi n’avons jamais fait ensemble, comme si nous l’avions fait. Parfois j’écoute des musiques de notre enfance, et je voudrais que la musique me la rappelle, mais la musique ne me rappelle rien, parce que nous n’étions pas ensemble, nous n’avons pas vécu la même enfance. Quand je pleure, que je me dis, C’est terrible, peut-être que c’est pour essayer d’avoir maintenant des sentiments que je n’avais pas à cette époque. Ils m’ont ôté le droit de pleurer, j’entends leurs voix qui me disent dans ma tête, Si tu ne voulais pas tu n’avais qu’à le dire, ils me regardent dans ma tête, et ils sourient. » (p. 121)
Éditions du Rouergue (19 août 2015)
Collection La Brune
122 p.
Prix : 13,80 €
ISBN : 978-2-8126-0925-1
Challenge 1% Rentrée littéraire chez Hérisson !
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68 premières fois chez l’insatiable Charlotte
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63 commentaires
keisha · 19 août 2015 à 07h06
Déjà repéré (troisième billet ce matin!).
Noukette · 29 octobre 2015 à 21h58
Il risque d’y en avoir tout un tas d’autres…!
Sandrine · 19 août 2015 à 07h08
Eh bien, voilà une rentrée qui commence bien. Et avec cette histoire de challenge autour des premiers romans, je vois bien que vous allez être nombreuses à défricher : tant mieux !
Noukette · 29 octobre 2015 à 21h59
Les 68 premières fois de Charlotte vont l’emmener dans de nombreuses mains, oui…! Et je l’ai choisi en tant que marraine des Matchs de la rentrée littéraire, je souhaite vraiment une belle route à ce roman…!
luocine · 19 août 2015 à 07h30
Déjà noté, il suffit maintenant que je trouve le courage de lire l’horreur absolue.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h00
Il y a de ça oui… C’est une lecture choc…!
Leiloona · 19 août 2015 à 08h45
Un très joli billet ma Noukette. Oui, un roman choc.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h00
Difficile d’en sortir indemne c’est vrai…
Une ribambelle · 19 août 2015 à 08h48
je viens de lire l’avis de Leiloona qui confirme ton avis. Je signe des deux mains pour le lire.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h01
Il ne peut que marquer les esprits…
Martine · 19 août 2015 à 08h52
Rien qu’à te lire, je pleure, je ressens une impuissance écrasante, bouleversante. Pas sûre que je lirai ce roman. Trop fort. Trop proche…
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h01
Je comprends… J’ai eu peur de ne pas pouvoir aussi, et finalement, la construction du roman est si habile que l’auteur rend tout cela possible…
mokamilla · 19 août 2015 à 08h59
Là, par contre, je dis ouiii !
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h02
Je ne suis pas étonnée…
eimelle · 19 août 2015 à 09h18
nécessaire en effet… hélas…
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h02
Espérons qu’il sera lu par le plus grand nombre…
Laeti · 19 août 2015 à 09h44
Grosse tentation en lisant tous ces billets!
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h03
J’espère que tu succomberas au moins à celui-ci…
Stephie · 19 août 2015 à 10h32
Très beau roman, très beau billet 😉
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h03
Merci ma douce… 😉
Au fil des plumes · 19 août 2015 à 11h04
Je viens de lire l’avis de Leiloona et vous semblez toutes deux complètement conquises. Cela ne peut que nous donner envie de découvrir ce roman.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h04
Je l’espère vraiment sincèrement…!
Anne · 19 août 2015 à 11h13
Pas pour moi, je me tiens loin de ces histoires atroces qui touchent les enfants. La réalité dépasse la fiction, hélas.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h04
Oui, et ici la réalité et la fiction font plus que se rejoindre…
franfran · 19 août 2015 à 11h14
Tentatrice, je ne peux pas résister à ce billet (ni à celui de Leil), cette rentrée littéraire va me laisser sans un sou !!!
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h04
Pauvre banquier…! 😉
folavoine · 19 août 2015 à 11h24
Toujours impressionnée part ces histoires d’enfants. Manque de courage. … et pourtant ces livres sont nécessaires
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h05
J’en ai d’autres de cette trempe qui m’attendent sur mes étagères, certains depuis longtemps… Pas facile de s’y plonger…
cathulu1 · 19 août 2015 à 12h17
C’est exactement ça : pas de surenchère, pas d’indécence.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h05
Un roman juste, et qui frappe fort…
L'Irrégulière · 19 août 2015 à 12h44
c’est un complot…
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h06
Pire que ça même…
Marion · 19 août 2015 à 13h17
Impossible de résister à un tel billet !
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h06
Tu m’en vois ravie ! 😉
Livresse des Mots · 19 août 2015 à 15h10
Wahou ! Voilà un roman que je vais tâcher de ne pas rater ! Ta chronique est magnifique Noukette ! <3
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h07
Merci Livresse… ♥
Céline · 19 août 2015 à 16h52
Déjà lire ta note me fait froid dans le dos. Je ne sais pas si je suis prête… Mais je le note dans un coin de ma tête.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h08
Il faut s’armer de courage oui… mais ça en vaut vraiment la peine…
Sara · 19 août 2015 à 18h47
Je le lirai car cela semble être un roman réussi. Et qu’avec un tel sujet, ce n’était pas facile…
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h09
Pas facile non… Et en plus c’est un premier roman…!
antigone · 19 août 2015 à 20h13
Vu un peu partout aujourd’hui, ce livre fait une rentrée en fanfare !! 😉
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h10
Et c’est plus que mérité…!
Nadael · 19 août 2015 à 21h44
Un thème trop dur pour moi mais tu en parles très bien.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h11
C’est un des premiers romans qui m’attiraient le plus…
Kidae · 19 août 2015 à 22h34
Bien que ta critique présente un livre qui m’a l’air fort bien écrit et fort bien construit, je ne pense pas que je le lirai. Trop dur…
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h14
Dur oui… Ça, je ne peux pas le nier…
Titine · 20 août 2015 à 10h37
Ce que tu en dis m’attire beaucoup et je vais aller lire le billet de Leiloona pour finir de me convaincre !
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h14
C’est un premier roman marquant de cette rentrée !
Ariane · 20 août 2015 à 18h10
Je l’avais déjà noté mais ton avis achève de me convaincre, bien que je craigne une lecture particulièrement difficile.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h15
Je pense que cela dépend de la sensibilité du lecteur… mais l’auteur a réussi à mettre une certaine distance entre l’histoire, horrible, et nous… A toi de voir…
Sharon · 21 août 2015 à 20h42
Je ne suis pas sûre d’avoir le courage de le lire.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h16
Je peux très bien le comprendre…
Marion · 23 août 2015 à 11h07
Un texte qui a l’air très fort ! Je note !
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h16
Un uppercut…!
Alex-Mot-à-Mots · 23 août 2015 à 21h01
Noté chez Leiloona, je le souligne !
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h17
A mon avis un incontournable de cette rentrée…!
dasola · 25 octobre 2015 à 19h33
Bonsoir Noukette, j’ai apprécié ce roman concis sur un sujet sensible. Cela ne tombe jamais dans le sensationnel. C’est très bien écrit. Bonne soirée.
Noukette · 29 octobre 2015 à 22h19
Oui, tu as tout dit. Aucun sensationnalisme, les faits, presque bruts, les voix de tous ces « témoins »… Et ça fait froid dans le dos…!
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