On commence La petite barbare en se disant qu’on va lire une énième variation sur les oubliés des banlieues. On se dit qu’on a déjà tout lu, tout vu sur le sujet, et c’est peut-être vrai, oui, que ce n’est pas nouveau… Et puis on lit les premières lignes, et la voix rageuse qui s’élève nous vrille le cerveau et nous retourne l’estomac. On en reste pantelant, presque essoufflé. Ça suinte la colère, ça transpire l’ennui. Et comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, on pressent que l’espoir n’est pas de mise…
Celle qu’on surnomme « la petite barbare » est en prison. Plus pour très longtemps, elle y a purgé sa peine, gouté à l’isolement, ressassé jusqu’à l’overdose les instants qui font basculer une vie. Aucun retour en arrière possible. Un coup d’œil dans le rétroviseur, l’enfance bancale, le manque d’amour, le manque de tout. On pousse comme on peut, de traviole, en s’arrangeant avec le quotidien pas tendre et ce don tombé du ciel… « Je suis née belle à pleurer un jour de grand froid et d’arbres morts, de parents enterrés avant d’avoir commencé. » Désirable à se damner. « Ça ne sert à rien, ça sert à tout… »
Beaucoup ont trinqué, certains ne s’en sont pas relevé. Ils avaient tout, elle n’avait rien. Alors elle a pris, donné des coups de pied violents au destin, fait en sorte que les choses bougent, enfin… Juchée sur des escarpins vertigineux, la petite barbare se sert de son corps comme d’un appât. Fatale, elle se fait sirène, capte les regards, éveille les sens des petits mecs friqués des beaux quartiers. Jusqu’ici, tout va bien…
En terminant le premier roman d’Astrid Manfredi, je me suis longtemps demandé si je l’avais aimé ou non. Je l’ai pourtant lu d’une traite, happée, jusqu’à une heure avancée de la nuit. Parce que les mots cognent, parce que les mots hantent, parce qu’ils pénètrent comme une aiguille dans la chair et y impriment une empreinte indélébile… C’est entêtant, à mi-chemin entre un slam lancinant et un rap saturé… Une musicalité tenace, poétique et sombre. Une voix qui ne s’oublie pas. Et une nouvelle voix donc, celle d’Astrid Manfredi, plus que prometteuse, qui fait dire à son héroïne : « Les femmes, elles écrivent autrement, je trouve. C’est moins politique, plus réel. Ça me plaît. » A moi aussi ça me plaît… Je serais curieuse de la lire sur un autre sujet, loin du bitume crasseux des banlieues. Pour voir si le charme opère toujours et éviter les parallèles qu’on ne peut s’empêcher de faire avec d’autres lectures brassant les mêmes thèmes…
Les avis de Canel, l’Irrégulière, Laure, Miss Alfie, Séverine
Le blog d’Astrid Manfredi : Laisse Parler Les Filles
Premières phrases : « A l’isolement. Ç’a été leur injonction et ils l’ont respectée. J’y suis. Pas de télé, pas de Secret Story avec mes copines de poisse surexcitées par la gloire. Pas de beaux mecs à pectoraux et cervelle passée au hachoir.
Pourquoi est-ce encore moi qui paye ? Ils vont me laisser croupir là et autoriser les angoisses de la nuit à me jeter un sort. Je lancerai contre leurs murs de pisse mon cri de cheyenne sans tribu. Pourquoi est-ce encore moi qui paye ? Et l’autre, là, le dirlo, il va l’avoir sa cellule capitonnée, la visite de maman avec le cake aux fruits et les clémentines contre les carences en vitamine C. Moi, plus personne ne vient me voir. Il paraît que je l’ai bien cherché, qu’il ne faut pas jouer à faire la belle, qu’il aurait mieux valu plier et dire merci monsieur de me laisser entrevoir une chance d’habiter votre baraque à la lisière de rien. Allez vous faire foutre. »
Au hasard des pages : « Un bouquin c’est pas le paradis, c’est un ciel de flammes. J’attends le jour où je serais convoquée à la télé. Je serai à côté de Jean d’Ormesson et j’écouterai des citations. J’ai bien aimé celle-là : « Je suis plein du silence assourdissant d’aimer. »
Et moi, monsieur, je suis pleine du bruit assourdissant de vivre. Et je prendrai des poses genre j’ai un fume-cigarette et je parlerai de l’écriture inspirée et de toutes ces phrases à la con que j’ai entendues dans les émissions et que j’ai jamais compris comment on pouvait écrire des trucs pareils. Écrire c’est réel, même si c’est un rêve et qu’on peut en crever tellement on rêve. » (p.134)
Éditions Belfond (13 août 2015)
160 p.
Prix : 15,00 €
ISBN : 978-2-7144-5943-5
Première lecture pour le Challenge 1% Rentrée littéraire
chez Hérisson !
1/6
Et une première participation au projet fou de l’insatiable Charlotte
qui a réuni autour d’elle une bande de lecteurs tout aussi fous
prêts à lire les 68 premiers romans français
à paraître en cette belle rentrée littéraire…
50 commentaires
luocine · 18 août 2015 à 08h01
Face à ce genre de livre, je me demande qui est cette écrivaine et pourquoi elle écrit cela . La littérature c’est toujours un moyen pour exister mais pour moi il faut transcender sa condition .
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h16
Je ne crois pas que ce roman est un rapport avec la condition de l’auteure… C’est en tous cas une plume à découvrir…
Kathel · 18 août 2015 à 08h54
Ce n’est pas le genre de livre qui m’attire…
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h16
Je peux tout à fait comprendre…
Stephie · 18 août 2015 à 09h01
Il me tarde de le lire 🙂
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h16
Tu ne pouvais que l’aimer celui là 😉
Martine · 18 août 2015 à 09h01
Depuis quelques jours, les avis tombent sur les blogs littéraires avec une même tendance, ce livre, cette histoire intrigue et pique là où ça peut faire mal ou au moins trouver un écho en nous. Je serais curieuse de le lire, juste pour voir… Merci pour cet avis, toujours sincère et sensible, Noukette, et belle journée!
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h17
Ce livre m’a prise à rebrousse-poil… Attirance, répulsion… C’est assez fascinant comme mécanisme finalement…
franfran · 18 août 2015 à 09h18
Tout à fait mon genre de livre 😉
bisous ma copine <3
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h17
Je confirme…!
Valérie · 18 août 2015 à 09h20
Pas tentée non plus, il inonde la blogsophère ce roman, ce qui n’arrange rien (pour moi).
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h18
C’est surtout le premier titre a être sorti… et les premiers romans, ça intrigue toujours… 😉
Laeti · 18 août 2015 à 09h47
Je doute que le sujet me corresponde… Mais c’est vrai qu’il a déjà son petit succès sur les blogs! C’est plutôt cette double couverture qui m’a interpellée!
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h18
La couverture interpelle oui, elle est très réussie !
Au fil des plumes · 18 août 2015 à 10h12
Pas sûre que j’accroche à ce genre de récit…
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h19
Il faut vouloir entrer dans ce genre de récit, accepter d’être bousculé…
Une ribambelle · 18 août 2015 à 10h15
Pas tentée par le thème même si je ne doute pas à lire cet avis que l’écriture retranscrit très bien le ressenti de son héroïne.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h19
Il y a une vraie voix dans ce premier roman, oui, c’est indéniable…
Laue · 18 août 2015 à 10h24
Très belle chronique Noukette ! Même ressenti que toi mais au final après plusieurs premiers romans de cette rentrée , c’est le seul dont je me souvienne aisément. A lire surtout pour l’écriture et la voix singulière de l’auteur.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h20
C’est vrai que finalement, il reste ce roman… Ce n’est pas le cas de tous, loin de là…
L'Irrégulière · 18 août 2015 à 10h32
Moi aussi je suis très curieuse de la lire sur un sujet différent !
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h20
Je crois que nous serons nombreux dans ce cas là ! 😉
folavoine · 18 août 2015 à 10h53
Tu m’as convaincue ; il sera sur ma liste d’achats « adultes » à la rentrée !!
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h21
😀
laurielit · 18 août 2015 à 11h09
Comme beaucoup je le vois dans de nombreux commentaires sur la blogosphère. Il me tente et cette couverture…je n’avais pas vu la tête…Bref pourtant ton billet me refroidt un peu, non pas par ce que tu en dis (car c’est très beau et sensible, comme tu écris bien…je suis envieuse bref)mais plutôt sur le sujet. Pas trop envie de ça en ce moment…s’il croise ma route peut-être bien…on verra. des bisous
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h21
Merci pour tes gentils mots Laurie… ♥
Martine · 18 août 2015 à 11h35
Je viens de voir que l’auteur sera invitée à La Grande Librairie pour la reprise le 3 septembre sur France 5. Voili Voilà… 🙂
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h22
Toujours pas vu le replay de cette émission ^^
Jerome · 18 août 2015 à 12h41
Je l’ai lu il y a quelques semaines et je ne sais pas vraiment quoi en penser. Peut-être que j’ai trop de lectures « trash » et décapantes au compteur pour être vraiment secoué par ce premier roman.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h23
Normal… J’étais d’ailleurs persuadée que tu détesterais ce roman, il faut croire que tu t’es quelque peu assagi ^^
Sophie Hérisson (Délivrer des Livres) · 18 août 2015 à 17h39
Je ne suis pas tentée par le sujet, alors je ne pense pas qu’il fera parti de mes lectures de cette rentrée…
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h23
Il y a tellement de choses à lire… 😉
Ariane · 18 août 2015 à 19h10
Je ne suis pas sûre que ce livre me plairait.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h23
Le sujet peut rebuter, c’est vrai… et très compréhensible…
Alex-Mot-à-Mots · 18 août 2015 à 21h52
Le titre brut ne m’aurait pas tenté. Mais après avoir lu ton billet, je me dis pourquoi pas.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h24
C’est une belle surprise en ce qui me concerne…
mokamilla · 19 août 2015 à 08h57
Un livre qui ne fera pas partie de mes priorités, d’autant que je ne me rue pas sur la rentrée littéraire.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h25
J’ai un gros faible pour les premiers romans, ils m’attirent irrésistiblement…
Sara · 19 août 2015 à 18h49
Celui-là ne peut que me plaire ! Je vais foncer me le procurer au plus vite.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h25
Curieuse de savoir ce que tu pourras en penser…
Emma · 27 août 2015 à 12h33
Je vais sûrement attendre de lire d’autres avis avant de me décider.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h26
Sage décision… 😉
seth · 31 août 2015 à 10h07
J’aime pas lire des histoires de prisons. J’attendrai son suivant s’il y en a un
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h26
J’espère pour l’auteure qu’elle ne s’arrêtera pas en si bon chemin… 😉
Cajou · 31 août 2015 à 15h52
Je viens de le lire et de le chroniquer et donc je fais mon petit tour des billets. Et je suis … ébahie de voir que nous avons utilisé la même expression « un slam lancinant » pour parler de cette écriture. Promis, j’ai pas copié ! Par contre, moi je ne me demande pas si j’ai aimé ou pas cette lecture : elle ne m’a pas fait ressentir grand chose, je suis restée complètement extérieure, et j’ai juste profité de la très belle plume, à défaut de profiter des persos…
Des bisous 🙂
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h27
Une belle plume, c’est déjà pas si mal non ? ^^
labrouquere colette · 9 octobre 2015 à 12h10
Bonjour
Je suis régulièrement vos chroniques qui me permettent de découvrir des pépites. Ce livre , je l’ai lu avec avidité pour l’écriture ,le ton , et principalement l’émotion qu’il a su déclencher .Un grand merci encore une fois.
Noukette · 29 octobre 2015 à 00h28
C’est moi qui vous remercie… De votre passage, de vos mots, de votre confiance, de votre fidélité… Merci…!
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