« Allez-y ! Qu’est-ce que vous attendez. Allez-y ! Frappez-moi ! Vous êtes là pourquoi ? Vous me gardez ? J’ai pas besoin qu’on me surveille. Vous avez peur que je me sauve. Vous attendez les flics pour les menottes. J’ai rien fait. Je sais pas pourquoi je suis dans cette cabine. Comme dans une vitrine. Je suis pas une pute. Je les ai vues à Amsterdam derrières leurs vitres. Toutes des métèques. Vous savez d’où elles viennent ? Vous écoutez quand je vous parle ? Vous êtes là pourquoi ? Qu’est-ce que vous attendez ? Vous êtes contents d’avoir piqué une fille sur le quai… J’allais pas me jeter sous le métro. Ça non. Jamais… Plutôt mourir. Vous dites rien. J’ai l’habitude. Ça m’est arrivé déjà. Je connais la suite. Vous m’aurez pas… Je crie, oui, je crie si je veux. »
Le métro. Détenue dans la cabine du point information, devenue une véritable « prison » de verre, une jeune fille attend sa mère. Elle n’a pas 18 ans encore. Jeune mais vieille déjà, usée, abimée par « des années de galère ». Elle est en fugue, en cavale. Pourquoi est-elle là, gardée par deux pompiers ?
Pour tromper l’attente, la peur aussi peut être, elle parle. Elle se raconte, dit les siens, sa famille : sa mère, son père, sa sœur, ses frères… Mensonge ou vérité, elle parle, c’est tout.
« Je vous parle parce que je vous connais pas. Je crois que vous m’écoutez, vous avez l’air. Vous, vous savez que c’est ma mère que je veux. […] Les yeux de ma mère me manquent. Ils m’ont manqué. Qui pouvait comprendre, que les yeux de ma mère ont pour moi la douceur de ses bras quand j’étais petite, et qu’elle me chantait dans sa langue, j’étais seule, elle s’asseyait en tailleur sur le tapis d’Aflou, il vient du Djebel Amour, les plus beaux tapis de toute l’Algérie, il parait…. »
C’est un monologue. Un cri. Un cri de colère. Un cri de révolte d’une jeune fille qui entend s’affranchir et qui revendique sa liberté…
C’est un texte singulier, propice à la mise en scène et à la lecture. L’écriture est (en apparence) simple. Le ton est léger, grave, libre, sombre, acéré, fort, très fort ! Il aborde les thèmes chers à l’auteure (et terriblement contemporains) : la condition des femmes, l’émancipation féminine, les traditions ancestrales, les relations familiales… Il est aussi question de transmission, d’identité, de déracinement, de désordre, de transgression et de liberté ! C’est un monologue qui raconte plusieurs itinéraires, plusieurs histoires, plusieurs parcours mêlés…
Ce texte est remarquable aussi pour son héroïne, jeune femme farouchement libre, tendre, rebelle, violente, vivante ! « Elle a la grâce sublime et dérisoire de la jeunesse »
Remarquable pour la langue et les mots de cette auteure Leïla Sebbar (une écrivaine incontournable et emblématique du paysage littéraire méditerranéen …) qui se définit comme «une écrivaine dans le siècle – siècle qui commencerait au milieu du XXe siècle – c’est-à-dire liée à une histoire particulière, celle de la France et de ses colonies : guerres de colonisation, de décolonisation, de libération et, liés à cette histoire, tous les effets de déplacement, d’exode, d’exil et donc de rencontres singulières entre ceux qui quittent un pays et ceux du pays d’arrivée. »
Remarquable pour les illustrations réalisées par Sébastien Pignon.
Vraiment, vraiment, un texte à lire de toute urgence si ce n’est pas déjà fait !
Extrait
« J’ai parlé en arabe, comme si je n’avais jamais parlé une autre langue avec ma mère. Elle frissonnait, elle n’avait pas froid pourtant, elle serrait mes mains, moi je parlais, je parlais, des paroles douces me venaient pour l’apaiser avant les paroles de vérité, les plus dures pour elle, mais elle écoutait ce que disait la langue de sa mère dans la bouche de sa fille, tantôt souple et je l’entendais respirer calmement, tantôt raide et elle se mettait à haleter. Elle m’a écoutée, jusqu’au bout, sans rien dire. Des larmes coulaient, régulières, l’une après l’autre, ma mère gardait les yeux fixes et les larmes coulaient, je ne reconnaissais pas ses beaux yeux, célèbres des deux côtés de la mer, dans nos familles et au-delà, des yeux clairs rieurs et doux, doux pas toujours, ils lançaient parfois des éclats comme le tranchant d’une lame de guerre, ses yeux figés ne me voyaient pas, ils étaient pris dans le chagrin. Elle m’écoutait, mais j’avais peur qu’elle se mette à crier. Vous savez comment elles crient, les femmes ? »
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Programmation et rencontres
Vous dire que Leila Sebbar en fera la lecture au théâtre Liberté (à Toulon/Var) ce mardi (ce billet-là sera, à quelques mots près, mon introduction pour ce beau moment de lecture) et que cette proposition artistique s’inscrit dans un projet de rencontres avec cette auteure et autour de plusieurs de ses ouvrages (dont je vous donne, je ne peux pas m’en empêcher, un petit récap’des lieux de rencontres !) :
– Mardi 11/10 à 12h15 : Les Mardis Liberté, la pause déjeuner artistique du Liberté !
Lecture et rencontre La fille du métro (Ed. Al Manar, 2014)
– Mardi 11/10 à 17h : Conférence inaugurale du laboratoire Babel de l’UFR Lettres de l’Université de Toulon avec Leila Sebbar
– Mercredi 12/10 à 17h : « Les femmes et l’exil » Leila Sebbar
Médiathèque Andrée Chédid à La Seyne sur mer
(Pour cette rencontre, un très beau travail a été fait avec les associations de la Seyne et la Médiathèque. Un atelier d’écriture a été mis en place. Les écrits de femmes seront exposés, lus, criés ou chantés ! Il y aura également une exposition photos et de cartes postales autour des femmes en Méditerranée)
Vous dire aussi que j’ai rencontré Leila Sebbar à Paris, à la Fête du livre (si ! Comme quoi, on fait pas que picoler !). Que ce projet né il y a 18 mois se réalise là, dans quelques jours, avec du boulot fou, des livres lus (30 et des brouettes), des si belles découvertes, de l’énervement, de l’émotion, de la rencontre divine, des heures et des heures au téléphone, des échanges enflammés, des confidences, des larmes, un peu de peur aussi, des tonnes de mails, de la désolation (un brin), de la rage, des éditeurs trop chouettes, des lectrices passionnées, de belles personnes engagées, solides, vraies (et d’autres pas, hein, mais d’elles, on ne causera pas !) et une tendresse infinie pour cette auteure et pour ses mots … vraiment qu’il vous faut découvrir !
Si vous êtes dans le coin, venez, ce sera bien, je vous le promets !
Courte biographie
Leïla Sebbar est née en Algérie pendant la colonisation, de père algérien et de mère française, et tous deux instituteurs. Elle vit à Paris depuis 1963. Elle a publié un grand nombre de romans, nouvelles, essais, récits, carnets de voyage et albums photographiques. « Au croisement de l’intime et du politique, son œuvre dit la violence de l’Histoire et de l’exil. » (Bleu autour)
Bibliographie sommaire
Fatima ou les Algériennes au square (Stock, 1981 ; Elyzad, 2010), Shérazade, 17 ans, frisée, les yeux verts (Stock, 1982 ; Bleu autour, 2010), Femmes d’Afrique du Nord, cartes postales (1885-1930) (Bleu autour, 2002, 2006), Je ne parle pas la langue de mon père (Juillard, 2003), Sept filles (Thierry Magnier, 2003), L’arabe comme un chant secret (Bleu autour, 2007, 2010), Mon cher fils (Elyzad, 2009), Les femmes au bain (Bleu autour, 2006, 2008), Voyage en Algéries autour de ma chambre (Bleu autour, 2008) , La fille du métro (Al Manar, 2014), L’enfance des Français d’Algérie avant 1962 (Bleu autour, 2015), Une enfance dans la guerre, Algérie 1954-1962 (Ed. Bleu autour, 2016)
A paraitre : Nouvelle édition commentée et illustrée (avec un cahier photo) Je ne parle pas la langue de mon père/ L’arabe comme un chant (Bleu autour, 2016), Parle à ta mère ( Elyzad, 2016), L’Orient est rouge, Elyzad, 2017.
Les liens vers les rencontres/éditions :
Théâtre liberté (un endroit formidable avec tout un tas de superbes représentations), Les bibliothèques de La Seyne sur mer (un accueil remarquable, grand choix de livres, CD, toussa toussa et des actions menées sans cesse, pour porter la culture belle, haute et à tous <3 ), l’Université de Toulon (là où je sévis, travaille, souffre parfois, au Laboratoire Babel, labo de recherche en littérature, un vaste programme !)
Les éditions Al Manar, Les éditions Bleu Autour, Les éditions Elyzad (merci infiniment à vous)
Avec un merci IMMENSE à tous ceux qui m’accompagnent dans ce tourbillon 😉 et à Noukette, à qui je vole, une fois de plus, son merveilleux blog <3
7 commentaires
Saxaoul · 8 octobre 2016 à 16h08
Dommage que j’habite si loin !
zazy · 8 octobre 2016 à 21h17
Un auteur que j’apprécie énormément et que j’ai eu la chance de rencontrer.
Je te souhaite beaucoup de plaisir
Noukette · 8 octobre 2016 à 23h54
Je te promets de découvrir cette auteure que tu aimes tant très vite copine…! ♥
Jerome · 10 octobre 2016 à 13h00
J’ai eu la chance de la rencontrer sur un salon l’an dernier. Une bien belle personne !
Moka · 11 octobre 2016 à 07h59
Ma Framboise, j’associe définitivement cette femme à ta charmante personne.
Il faut vraiment que je la découvre maintenant.
Mo · 17 octobre 2016 à 07h04
Rhoooo ce billet copine !! Une belle invitation à la lecture ! Je note je note car comment refuser un tel moment de lecture ?
Belle journée à toi m’dame !! <3
Julia · 25 novembre 2016 à 20h45
C’était une formidable rencontre avec Leila Sebbar, vraiment.
Texte d’une incroyable force, j’ai adoré !