Ce joli roman commence ainsi :« Je ne sais pour quelle étrange raison, je n’ai jamais pensé que j’aurais un jour quarante ans. A vingt ans, je m’imaginais dix ans plus tard, vivant avec l’amour de ma vie et quelques enfants. Et je me voyais à soixante ans, faisant des tartes aux pommes pour mes petits-enfants, moi qui ne sais même pas faire un œuf au plat, mais j’aurai appris entre temps. Et à quatre-vingts ans, en vieille croulante, sifflant du whisky avec mes copines. mais jamais je ne me suis imaginée âgée de quarante ans, ou même de cinquante. Et pourtant, me voilà. J’enterre ma mère et, en plus, j’ai quarante ans. »
Ce livre raconte l’histoire de Blanca, qui, à quarante ans, et après le décès de sa mère, quitte Barcelone pour s’installer à Cadaqués, dans la maison familiale, accompagnée de moult personnages : deux ex-maris, ses enfants, ses amies Sofía et Elisa, son amant Santi…
Entrecoupé de baignades, ballades, siestes, dîners, amours et autres félicités estivales, le récit s’articule autour de la mère, l’absente, qui hante les lieux et la mémoire de sa fille…
Ce livre, c’est mon libraire qui me l’a mit dans les mains, en me disant « si tu ne devais en choisir qu’un aujourd’hui, ce serait celui-là ! » et comme je ne suis pas contrariante et que j’ai grande confiance en lui, suis repartie avec lui (et quelques autres aussi, parce que je ne sais pas du tout n’acheter qu’un seul bouquin tsts 😆 ).
Le début, franchement, fût un peu pénible… Il faut dire que je venais de terminer un merveilleux Jeanne Benameur, alors évidemment, après, enchaîner un autre récit…
Le démarrage fut donc poussif, presque douloureux…
Et puis, soudain c’est venu, tout doucement, un je-ne-sais-quoi qui a fait que je m’y suis accrochée, que je me suis laissée conquérir, que je m’y suis sentie bien et que je me suis mise à l’aimer, à sourire, à pleurer (si si !). Lisez moi ça un peu, c’est à ce moment-là que tout a basculé :
« Nous entreprenons le voyage à Cadaqués, qui ressemble toujours à une expédition. Assis à l’arrière, il y a les trois enfants, Edgar, Nico et Daniel, le fils de Sofia, à côté d’Ursula, la baby-sitter. Je conduis et Sofia joue le copilote. Je continue à trouver ça bizarre et un peu absurde que ce soit moi qui dirige tout ça, moi qui décide de l’heure du départ, tienne le volant, donne les instructions à Ursula, choisisse les affaires que vont emporter les enfants. D’un moment à l’autre je vais être démasquée et envoyée avec eux sur la banquette arrière, me dis-je en les observant dans le rétroviseur qui rient et se disputent tout à la fois. En tant qu’adulte, je suis une imposture, tous mes efforts pour quitter la cour de récréation sont des échecs retentissants, j’éprouve exactement ce que j’éprouvais à six ans, je remarque les mêmes choses, […] l’éclat du rayon de soleil sur mes bracelets cliquetants, les personnes âgées et seules, les couples qui s’embrassent avec passion, […] les arbres……. »
Une page sur la « pathétique couronne d’adulte » de Blanca, la narratrice, pour que j’ai envie de continuer et pour qu’au final, je ne veuille plus la lâcher cette histoire !
Peut-être que la pléthore d’hommes décrits, tous plus délicieux les uns que les autres n’y est pas pour rien ! Je ne résiste pas à l’envie de vous lire un passage :
« Il parle castillan comme un fils de bonne famille de Barcelone et cause catalan comme un paysan de l’Empordà. Il a les cheveux blond miel, les yeux bleus et romantiques de sa mère anglaise, et la carrure caractéristique de certains hommes du Sud, le corps râblé, baraqué et bedonnant, les mains courtes et épaisses, la peau brunie et craquelée par le soleil. Il est direct et vous regarde toujours dans les yeux, […]. Il rit facilement, il est expéditif et sait donner des ordres. Il aime les bêtes, les femmes, le poker et la marijuana. »
Malgré la bedaine, ce Tom me donne déjà chaud !
Peut-être aussi que la langue un peu crue, cette justesse d’émotion, cette liberté aussi dans le ton et dans le récit, cette vie qui chahute la journée et cette infinie solitude de Bianca quand vient la nuit, cet humour un peu cinglant, ce désordre, ce décalage, le sexe qui maintient en vie, cette élégance ou tout simplement l’été à Cadaqués m’a fait furieusement envie !
Et puis, ce lien à la mère, que voulez-vous, ça me fascine, ça me bouleverse !
La relation entre cette mère et sa fille ne fût pas toujours simple… Mais l’amour, lui, toujours là, envahissant, total …
« Tu m’as donné le coup de foudre comme seule forme possible de tomber amoureuse (tu avais bien raison), l’amour de l’art, des livres, des musées, du ballet, la générosité absolue vis-à-vis de l’argent, les grands gestes aux bons moments, la rigueur dans les actes et dans les mots. L’absence totale de sentiments de culpabilité, la liberté, et la responsabilité qu’elle implique. […] Tu m’as aussi fait don de ce rire fou, de la joie de vivre, de l’abandon de soi total, du goût pour tous les jeux, du mépris pour tout ce qui te semblait rendre la vie plus petite et irrespirable… »
Ce livre, c’est donc le chemin qu’entreprend Blanca pour tenter de survivre à l’absence de la mère, pour essayer d’apprivoiser la mort, pour accepter cette perte immense, ce vide vertigineux qui l’a englouti toute entière.
D’autant qu’avec sa mère, c’est l’enfance aussi qui se meurt… «J’ai réussi à être une petite fille jusqu’à avoir quarante ans, deux enfants, deux maris, plusieurs liaisons, plusieurs appartements, plusieurs boulots […] Ça ne me plaît pas d’être orpheline, je ne suis pas faite pour la tristesse. Ou peut-être que si, peut-être suis-je à la mesure exacte du chagrin, peut-être est-il désormais le seul vêtement qui m’aille ».
Un douloureux, juste et tendre adieu à la mère…
« Je ne serai plus jamais regardée par tes yeux. Lorsque le monde commence à se dépeupler des êtres qui nous aiment, nous nous transformons peu à peu, au rythme des morts, en inconnus. Ma place dans le monde était dans ton regard et cela me paraissait si incontestable et éternel que je ne me suis jamais inquiétée de vérifier où elle se trouvait. »
MILENA BUSQUETS, Ça aussi, ça passera, [También esto pasará]
Trad. de l’espagnol par Robert Amutio
Gallimard, 2015, 17 euros.
34 commentaires
Alex mot à mots · 15 juin 2015 à 10h44
Déjà noté ! Tu renforces mon désir de le lire.
Framboise · 18 juin 2015 à 14h20
j’espère qu’il te plaira, tu me diras ! Belle lecture 😉
Violette · 15 juin 2015 à 10h56
on sent que tu as été conquise malgré les bémols… Par contre le coup des 40ans, comme je n’en suis plus si loin, bouhhh!
Framboise · 18 juin 2015 à 14h21
Moi aussi, 40 printemps en septembre, arf 😉 Courage à nous !
Jerome · 15 juin 2015 à 13h31
On a beaucoup parlé de ce roman dans la presse. Pas ma came je crois, mais tu es tellement enthousiaste !
Framboise · 18 juin 2015 à 14h24
J’aurai tendance à te dire « Nan, le lis pas » mais mon libraire a adoré, des fois, selon le moment, l’humeur, l’attente, bref suis pas certaine que ça te plaise héhé mais sait on jamais ?! 😉
L'or rouge · 15 juin 2015 à 15h56
C’est quoi le merveilleux Jeanne Benameur que tu viens de finir ?? Ne me dis pas que tu as eu la chance de lire avant tout le monde son dernier qui paraît en septembre ??!! Sinon pour ce titre là je suis déjà convaincue et je pense qu’il devrait très vite regagner ma PAL ;0) Les extraits que tu donnes me plaisent beaucoup. Je rajoute ton billet dans vos plus tentateurs avec les autres, bisous et bonne semaine
Noukette · 15 juin 2015 à 23h20
C’est un billet de ma copine Framboise, elle sévit de temps en temps dans mon salon pour notre plus grand plaisir à tous 😉 Tu peux piocher dans ses lectures, elle nous en réserve encore de belles !
Et non, pas de nouveau Benameur sous la main, si seulement…!
Framboise · 18 juin 2015 à 14h28
Non, j’arrive pas à l’avoir, et pourtant je donne de ma personne 😉 Le Benaneur en question est « Un jour mes princes sont venus », formidable (comme d’habitude !)… Et une belle lecture de ce joli roman, parfait pour l’été 😉
L'Irrégulière · 15 juin 2015 à 17h45
J’ai adoré !
Framboise · 18 juin 2015 à 14h30
😉
Noukette · 15 juin 2015 à 23h21
Il m’attend ! Sûrement une de mes lectures estivales, c’est que tu donnes drôlement envie coquine ! 😉
Framboise · 18 juin 2015 à 14h30
Oh oui c’est une parfaite lecture pour cet été, délicieusement alanguie sur transat avec un Dadou qui t’évente (rêvons un peu !), ce s’ra absolument divin !
Kathel · 16 juin 2015 à 09h49
Les extraits donnent envie ! Si le reste est bien aussi, pas seulement les citations ! 😉
Framboise · 18 juin 2015 à 14h31
à part le début, un peu poussif, tout est bon ! Enfin, j’ai trouvé ce roman vraiment chouette !
Ariane · 16 juin 2015 à 14h37
Que d’avis enthousiastes sur ce livre ! Je n’étais pas vraiment tentée mais à force de lire des billets de blogueuses conquises mon intérêt s’éveille.
Framboise · 18 juin 2015 à 14h32
Héhé c’est qu’il doit être pas mal ce roman 😉 et qu’il faut peut être se laisser tenter !!! 😉
Stephie · 16 juin 2015 à 20h12
Je l’a lu et pfffff, j’ai trouvé ça poussif de bout en bout. De belles phrases par ci par là mais pffff quelle déception 😉
Framboise · 18 juin 2015 à 14h34
Non mais alors toi ! Après je ne suis pas une experte, et ce n’est pas un très grand roman, mais je l’ai trouvé parfait pour l’été et me suis même surprise à verser qques larmes, ça doit être mon côté fleur bleue 😉
Sous les galets · 20 juin 2015 à 15h44
Ecoute, je suis vraiment partagée, une amie libraire l’a adoré, mais pas mal d’autres lecteurs ont trouvé ça nombriliste et que ça tournait en rond, du coup tu vois Framboise, je me demande, est-ce que c’est à la lueur de nos relations avec notre propre mère qu’il se lit ce livre finalement?
(la mienne de mère a détesté « cette quadra qui se comportait comme une gamine »….)
Je le lirai quand même tu sais.
Framboise · 25 juin 2015 à 09h22
Alors c’est toujours la question ! J’aime beaucoup les relations mère-fille (cela dit cette histoire-là ne ressemble en rien à la mienne !) et quand ça se passe en Méditerranée je fonce ! Malgré le début poussif, je ne l’ai pas trouvé nombriliste pour un sou ! A quoi ça tient, je ne sais pas 😉 j’ai trouvé qu’il y avait des tas de belles choses dans ce petit livre ! J’ai hâte que tu me dises ce que tu en as pensé !
yueyin · 20 juin 2015 à 16h36
tu es bien convaincante, pourtant il ne me tentait guère au départ 🙂
Framboise · 25 juin 2015 à 09h23
Ahaha espère que ce sera une belle lecture pour toi, tu me diras ?! 😉
Emma · 23 juin 2015 à 10h09
J’ai très envie de le lire malgré le début poussif…
Framboise · 25 juin 2015 à 09h28
Fonce alors franchement quelques semaines ont passé depuis ma lecture, et je me rends compte que je garde toujours ce livre en moi ! c’est dire 😉 tu me raconteras !
laurielit · 23 juin 2015 à 21h31
Quel bonheur de te lire Framboise…
Sur ce livre, j’ai vraiment été conquise par la prestation de Milena Busquets à La Grande Librairie, j’ai adoré cette femme, son franc parler, elle ne se laissait pas démonter par l’insupportable Yann Moix, présent lui aussi sur le plateau. Bref tel qu’elle en parlait, j’en ai eu envie. J’ai un peu peur du début « poussif » car j’ai souvent du mal à m’accrocher dans ces cas là (me dire que je perds du temps alors qu’il y a d’autres lectures magnifiques qui attendent). Je ne vais sûrement pas l’acheter mais je le prendrai volontiers à ma médiathèque. Merci pour ce joli billet, j’aime les extraits et je suis comme toi, la relation à la mère me fascine…
Ah oui et je note le bénameur, car celui-là je ne l’ai pas lu!
Framboise · 25 juin 2015 à 09h27
Il me semble que cette lecture a tout pour te plaire 😉 malgré le début un brin difficile ! D’autant qu’elle a ton capital sympathie (j’aime bien aussi cette demoiselle et je trouve qu’on retrouve dans son livre son franc parler !) et qu’il y a de très très belles choses dans ce livre ! Tu me diras 😉
ahhhhhh le Benameur « soupir » c’est tellement bon !
Mille bises et mille mercis pour ton joli mot <3
à bien vite
Edelwe · 7 juillet 2015 à 15h26
Tu donnes envie de le lire!
Framboise · 21 février 2016 à 21h22
Espère qu’il te plaira, ai vu qu’il ne convient pas à tout le monde, et qu’il a des aspects (auto-centrés !) qui peuvent déranger … Pourtant je me suis drôlement régalée § Tu me diras ?
danielle · 24 janvier 2016 à 15h02
Ce livre ne m’a pas emballée; je le ressens comme écrit par une « soixante huit-arde attardée ».
Tous les clichés y passent: les maris -amis, les enfants interchangeables…
Je me croyais revenue en 68, avec tous les éleveurs de chèvres en Ardèche, sauf que là , personne ne travaille (ou presque), les joints circulent à la moindre occasion, on refait le monde…en paroles!
Avoir une mère qui laisse de l’argent, c’est pas fait pour déplaire.
Littérature pour bobos?
danielle
Framboise · 21 février 2016 à 21h20
Rho, suis bien désolée que ce livre ne vous ait point plu… Je comprends qu’il ait pu vous agacer ( par plein d’aspects, dont ceux que vous décrivez), et pourtant, moi j’ai plongé totalement dedans et me suis régalée ! Allez comprendre ! Le grand mystère de la littérature 😉
« Il n’y a pas de conversation plus pathétique au monde, plus vouée à l’échec que celle de deux individus essayant d’évaluer leur amour. | «Cunéipage · 17 juin 2015 à 17h25
[…] plus séduites : L’Irrégulière, Clara, Cathulu, Framboise, Nicole, […]
Ça aussi, ça passera | Glaz magazine · 27 août 2015 à 06h15
[…] Sur ce coup-là, je joue les vilains petits canards puisqu’il semble que ce roman en ait enchanté plus d’une : L’irrégulière, Clara, Noukette… […]
Vos billets les plus tentateurs du mois de Mai | L'or rouge · 9 février 2016 à 19h30
[…] aussi, ça passera chez Cathulu, chez Clara aussi, de mots pour mots, l’Irrégulière, Framboise (chez […]