On l’attendait plus tard mais elle est là, à la porte de la maison. Fraichement débarquée d’Argentine elle vient épouser le Fils, l’accord ayant été passé durant leur enfance. Mais le Fils est absent, nul ne sait quand il reviendra… Peu importe, la Jeune Épouse est accueillie dans la demeure avec les honneurs qu’elle mérite, elle fait déjà partie de la Famille…
Dans l’attente du retour du Fils, la vie suit son cours au gré des petits rituels instaurés par les maîtres des lieux. Des rituels fantasques auxquels il est de bon ton de se plier sans trop se poser de questions. A commencer par des petits-déjeuners aux allures de dîners de l’ambassadeur où on boit du champagne en bonne compagnie et ripaille jusqu’à une heure avancée de l’après-midi. Nonchalance, langueur et paresse… Viennent ensuite l’heure de la toilette, puis le traitement des affaires courantes de la maisonnée. Tout pour retarder l’heure du coucher vécue par tous comme un moment douloureux où l’ombre de la mort rode…
La Jeune Épouse se plie aux codes de cette famille aussi atypique qu’étonnante. Une famille étrange qui a beaucoup à lui apprendre et prendra en charge son initiation au plaisir… D’une grande beauté, la Mère aux phrases plus qu’énigmatiques lui confiera le secret de la sensualité et l’art de mettre les hommes à sa merci. Pragmatique, le patriarche souffrant d’une « inexactitude de cœur » l’emmènera parfaire son éducation dans un bordel luxueux. Audacieuse, la sœur handicapée lui dévoilera l’art de se donner du plaisir seule pour repousser la peur de la nuit. L’oncle, qui passe sa journée à dormir, ne se réveillera qu’épisodiquement pour prodiguer sa science et ses conseils toujours très justes. Quant à Modesto, l’homme orchestre de la maison, il lui servira de guide pour comprendre les us et coutumes de ses maîtres, lui expliquant notamment comment contourner l’interdiction de lire ou de posséder un livre dans ces lieux..
Censée se dérouler au début du XXe siècle en Italie, l’histoire a tout de la fable atemporelle… Au centre, cette famille aristocratique aux mœurs bien étranges semblant vivre hors du temps et à l’écart du monde. Dans une position de voyeur, le lecteur observe, pris dans les mailles du filet d’un auteur facétieux. Parce que Alessandro Barrico s’amuse, allant jusqu’à interrompre le récit pour se mettre en scène en temps qu’auteur, authentique démiurge choisissant de bousculer la narration au gré de ses envies. Assez déstabilisant il faut bien le dire, ce bouleversement obligeant parfois à une certaine gymnastique de l’esprit.
La Jeune Épouse est une œuvre singulière dans le parcours d’Alessandro Baricco. Une œuvre sensuelle et atypique où l’auteur prend un plaisir évident à manipuler son lecteur. Très éloignée des romans cultes qui ont fait, à juste titre, sa renommée (Soie, Noveciento : pianiste…). Il reste la plume, raffinée et troublante, et l’inimitable talent de conteur de Baricco. Impossible de ne pas y succomber…
Une lecture hypnotique que je partage avec Jérôme, un autre amoureux des mots de Baricco…
Premières phrases : « Il y a trente-six marches à gravir. Elles sont en pierre et le vieillard les gravit lentement, avec circonspection, comme s’il les collectait une par une, avant de les pousser au premier étage : lui, berger, et elles, doux animaux. Modesto, tel est son nom. Il officie dans cette maison depuis cinquante-neuf ans, il en est donc le prêtre.
Parvenu sur la dernière marche, il s’arrête face au large couloir qui s’étend sous ses yeux sans surprise : à droite, les pièces fermées des Maîtres, cinq ; à gauche, sept fenêtres étouffées par des volets en bois laqué.
C’est l’aube, tout juste. »
Au hasard des pages : « Elle devint donc un membre de la Maison et, là où elle avait imaginé entrer comme épouse, elle se retrouva sœur, , fille, invitée, présence appréciée et objet décoratif. Cela lui vint très naturellement, et bientôt, elle adopta les habitudes et les rythmes d’un mode de vie qu’elle ne connaissait pas. Elle en mesurait l’étrangeté, mais n’arrivait que rarement à en soupçonner l’absurdité. » (p. 30)
Éditions Gallimard (Avril 2016)
Collection Du monde entier
Traduit de l’italien par Vincent Raynaud
223 p.
Prix : 19,50 €
ISBN : 978-2-07-017891-9
11 commentaires
L'Irrégulière · 29 avril 2016 à 08h51
ça me tente beaucoup beaucoup !
clara · 29 avril 2016 à 08h53
je crois que je suis la seule à être passée à côté de ce nouveau roman de Barrico . Certes, la plume et la traduction sont superbe, il nous parle d’érotisme avec sensualité mais alors le reste de l’histoire ne m’a pas convaincue ( billet à écrire).
luocine · 29 avril 2016 à 12h00
beau billet , mais je suis plutôt en mode surchauffe en ce moment du coup je me contente des billets…
sylire · 29 avril 2016 à 13h24
Je ne sais que penser. Pas certain que ce soit pour moi.
jerome · 29 avril 2016 à 16h44
Je suis moins enthousiaste que toi pour une fois, sans doute parce que je l’ai lu depuis plus longtemps et que j’ai constaté au moment de rédiger mon billet qu’il ne m’en restait pas grand chose.
Nicole G · 29 avril 2016 à 17h42
Je suis justement en train de lire et, oui, c’est assez déstabilisant. Mais le charme agit, et en y réfléchissant un peu, c’est un parcours cohérent après Mr Gwyn…
Delphine-Olympe · 29 avril 2016 à 22h00
Il va vraiment falloir que je découvre cet auteur.
A_girl_from_earth · 29 avril 2016 à 22h34
Je raffole de Baricco mais pas quand il part dans des trips comme Soie. J’ai aimé City, Mr Gwyn, Océan Mer. Je lirai sûrement cette Jeune Epouse car le pitch me parle assez. J’espère adhérer !:-)
Fanny / Pages versicolores · 1 mai 2016 à 17h28
Ma libraire me l’a gentiment offert en me demandant de le lire et de lui dire ce que j’en avais pensé. Elle, elle a été plutôt déroutée. En lisant ton billet, il me tente mais en même temps, je crains aussi d’être déstabilisée…
Océane · 1 mai 2016 à 19h24
Rien lu de lui depuis Soie (qui m’a laissé un bon souvenir, mais rien de wawawaou) je me suis promis d’y revenir 🙂 à noter donc !
La Jeune Épouse | Ma collection de livres · 20 juin 2016 à 18h51
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