C’est le début. L’absence de sensations. Les inquiétudes irrationnelles. La peur que, soudain, tout s’arrête. Alors, stupéfier les joies dans le sillon des lendemains incertains. Ne pas s’amouracher d’un tubercule en formation, c’est bien trop ridicule et puis, sait-on jamais, il pourrait. Mourir. Je me sens coupable. D’un bonheur qui ne vient pas. Je me sens coupable. Des larmes insensées alors que je devrais sourire. Et puis, ce matin-là, j’entends. Entre les quatre murs silencieux qui ne voient pas le désordre alentour, j’entends. Le balbutiement de son cœur.
Dans ce récit (pas toutafé un roman mais pas non plus un journal intime), la narratrice devient mère. Elle raconte son aventure, sa métamorphose et son enfantement, la sienne et celle de sa fille. Elle dit aussi la douloureuse expérience de naître, d’être et de vivre femme. « L’intolérable douleur de l’espèce. Femelle. » Elle dit les luttes menées et celles qui lui restent encore à vivre. Pas à pas, elle s’invente, se bat, avance et se révèle enfin. Cette narratrice est une femme qui nous ressemble un peu ou du moins, ses questionnements, ses errements, ses combats sont un peu les nôtres. Elle livre tout, sans ambages, dans une langue crue, libre.
C’est le récit d’une transformation qui à la fois émeut, parfois dérange, toujours bouscule et questionne notre rapport au corps, à la sexualité, au plaisir, à la féminité, à la maternité, à la société (et à ses injonctions). C’est un premier roman que j’ai trouvé très fort, courageux. J’ai noté des tas de passages que j’ai épinglés tout partout chez moi. Des mots que je voudrais transmettre à ma fille, quand ce sera le temps de lui dire ce qu’est la féminité et comment vivre avec. Vraiment. Pleinement. S’y essayer du moins. Et d’en faire une force.
Ce récit est dédié :
Aux fillettes qu’on a prises pour des poupées en plastique qui ont fermé les yeux quand on les a couchées à terre et les ont rouverts quand elles se sont relevées.
Il se termine par ses mots :
Je sais nos corps comme une armée de petites filles en désordre, je sais nos corps valables. Indociles privilèges.
Notre désobéissance est en œuvre.
Notre insoumission nécessaire.
Nos corps, le rempart d’une lutte obligée.
C’est mon premier roman lu de la rentrée littéraire de septembre (merci toujours les 68 ♥) et ça démarre fort !
Premiers mots :
Mais tu n’es pas morte.
Les pieds immergés dans la mare de tes entrailles exfoliées, tu n’es pas morte, tu es bien vivante. De chair et d’os et de viscères.
Derrière la porte, elle est là, les paupières closes et l’insouciance au corps.
Elle t’attend, elle te manque ; où est-elle ? Elle flotte dans l’air et tes chevilles se noient.
Tu ne parviens pas à toucher, là. Ça ne cesse jamais de couler, tu ne sais que faire de cette serviette rêche et minuscule, blanche absurdité moquant l’ampleur de la tragédie. Ils ont cousu, là, entre tes jambes, à l’intérieur de toi béante, ils ont fait des points avec un fil et une aiguille, t’ont rapiécée, le geste las et l’âme ailleurs. Ils ont cousu ici et tu l’as senti, oh oui, tu l’as senti, tu es déchirée dedans.
Extraits :
Je me sens être une femme même si je ne sais pas ce que tout cela signifie. La féminité avec un vagin et des seins, des robes et des colliers, c’est une invention simpliste au service des verges qui bandent et des êtres humains qui se perpétuent. Je me sens être une femme et peu m’importe de n’y rien comprendre, peut-être qu’au fond personne n’y comprend rien.
Devenir mère d’un corps d’enfant, c’est m’offrir sans conditions et partir à ma rencontre, même s’il y a des résidus d’ecchymoses que je n’ai pas su soigner. Devenir la mère d’un corps d’enfant, c’est m’abandonner entièrement pour laisser l’enfant se fabriquer tout seul. Ultime paradoxe de la vie en mouvement. Être indispensable et inutile tout à la fois. Être la plus importante du monde et n’avoir rien à faire, rien à dire ; être là, c’est tout. C’est déjà suffisant. S’effacer, se magnifier, transcender les molles certitudes.
Voilà l’évidence.
Éditions François Bourin (Août 2019)
256 p.
Prix : 19,00 €
ISBN : 979-10-252-0456-6
5 commentaires
Marie-Claude · 18 octobre 2019 à 04h36
Tu as raison, ça démarre très fort! Très tentant…
Nathalie · 18 octobre 2019 à 07h24
Voilà qui à l’air très beau et très intéressant.
Alex-Mot-à-Mots · 23 octobre 2019 à 13h19
Un roman sur la féminité qui a l'(air très fort. Merci pour les extraits.
Jérôme · 24 octobre 2019 à 09h17
Désolé ma Framboise mais je ne vais pas te suivre sur ce coup-là, ce n’est clairement pas un livre pour moi 😉
gambadou · 24 octobre 2019 à 21h59
Une écriture très poétique