« Devant ce monde aveugle, l’exode continuer malgré les barbelés, les séparations, les déchirements, les naufrages en mer et les traversées mortelles du désert. Ceux qui avaient ouvert la brèche s’attendaient bientôt à l’arrivée d’une vague immense, d’une hémorragie permanente.
Dans les années à venir, le monde des pauvres, des laissés-pour-compte, allait encore s’affaiblir, se vider de ses forces précieuses, de ses jeunes, de ses hommes forts, de ses ingénieurs, de ses médecins. Une double peine, et une double perte, car il fallait de la vision, de la prise de risque, du courage, de l’inventivité pour fuir ; tout ce qui faisait les qualités des entrepreneurs dont les leurs avaient cruellement besoin. »
Faire le douloureux choix de l’exil pour échapper à l’arbitraire. Tout laisser derrière soi pour fuir la guerre, la torture et la barbarie. Prendre des risques incommensurables pour un voyage dont l’issue est trop souvent fatale. Confier sa vie et celle des siens au hasard, à la chance ou à Dieu. Mettre son avenir entre parenthèses. Et tout tenter… On est loin de s’imaginer ce que ces hommes et ces femmes sont prêts à affronter pour rejoindre le havre de paix que représente l’Europe à leurs yeux…
Le roman de Pascal Manoukian est formidable. Et ses personnages inoubliables. Virgil, le colosse moldave au grand cœur, Chanchal, le discret vendeur de roses Bangladais, Assan le Somalien qui ne croit plus en ce dieu qui l’a abandonné, et sa fille, Iman, à la féminité bafouée… Des êtres de papier tellement incarnés qu’on a l’impression de voir leurs visages et de toucher du doigt leur humanité profonde. Si on croisait leurs regards, on y lirait une colère sourde, une furieuse rage de vivre, une profonde lassitude. On y verrait l’espoir, malgré tout, et ce réflexe de survie, chevillé au corps. Même s’il faut pour cela oublier l’homme qu’on a toujours été et obéir au « chacun pour soi »…
« Dans cette course d’obstacles entre désespérés, c’est souvent la règle. On croise trop d’injustices pour s’apitoyer sur chacune d’elles, trop de morts pour les enterrer tous. Il faut sans cesse contrarier sa vraie nature, se forcer à oublier ce qu’on ressentait avant. Il n’y a pas de place pour la compassion et la pitié. Elles vous détournent de vos urgences. Embarquer sur un bateau, arracher un passage à l’arrière d’un camion, trouver un travail, un bout de couverture, un repas périmé, tout se fait toujours au détriment d’un autre. Le moindre geste, la moindre décision peut tourner au combat à mort. Il faut être prêt à tout arracher à plus misérable, plus fragile, plus découragé que soi. C’est aussi ça, la clandestinité. » Et malgré ça, malgré tout, malgré cette part animale qui resurgit dans l’urgence de la survie, l’existence de fils ténus et fragiles qui relient entre eux ces hommes malmenés. L’entraide. La solidarité. Ces risques insensés qu’on est prêt à prendre pour un autre que soi. Cette profonde amitié qui soude les existences et fait barrage aux coups du sort. Cette famille qu’on se reconstruit pour résister aux autres et au dehors hostile où tout est menace. Ces promesses qu’on se fait sans échanger une parole parce que certaines évidences se passent de mots…
Je défie quiconque d’oublier Virgil, Chanchal, Assan et Iman une fois le livre refermé. Moi je ne pourrai pas. Les échoués est un roman nécessaire, de ceux qu’on lit avec un vrai sentiment d’urgence. Pas de ceux qui donnent une foi immense en l’humanité, non, mais un roman qui ouvre les portes au lieu de les refermer, et ça, c’est déjà beaucoup… Le tout dans une langue impeccable, capable d’instiller de la poésie pure au cœur du chaos le plus sordide. Un premier roman brillant et essentiel. Et un coup de cœur, un gros !
Les avis de Charlotte, Jérôme, Jostein, Mirontaine, Sabine, Séverine
Éditions Don Quichotte (Août 2015)
304 p.
Prix : 18,90 €
ISBN : 978-2-35949-434-1
68 premières fois chez l’insatiable Charlotte
6/68
Challenge 3% Rentrée littéraire chez Hérisson
17/18
Et une première pépite évidente
pour le non-challenge de Galéa
42 commentaires
Marie-Claude Rioux · 2 octobre 2015 à 02h44
Je le commence ce soir même. Ça promet!
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h34
Ce roman est vraiment inoubliable…
sylire · 2 octobre 2015 à 07h23
Il semble faire l’unanimité celui-là… Noté et surligné.
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h35
Et je t’assure que c’est mérité…
Marion · 2 octobre 2015 à 07h47
Comment résister à une chronique comme celle-ci…? C’est noté !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h35
On ne résiste pas, on fonce…! Des pépites comme celle là, ça ne se manque pas !
Kathel · 2 octobre 2015 à 08h14
Je n’étais pas convaincue jusqu’alors, je le suis maintenant !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h36
Si mon billet a réussi à faire pencher la balance, je suis ravie !
franfran · 2 octobre 2015 à 08h20
J’aime ton billet ma Noukette et ce livre qui m’a fait tellement pleurer …. Essentiel oui et à mettre entre toutes les mains ! (d’ailleurs semaine prochaine je le mets entre celles de mes ptits étudiants !)
bisous <3
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h36
Ils ont de la chance de d’avoir tes étudiants ma Franfran… ♥
Hélène · 2 octobre 2015 à 08h58
Noté, et comme toujours ton billet me donne envie de courir de suite chez le libraire !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h37
J’aimerais vraiment avoir ton ressenti sur ce roman en plus, vraiment…!
Léa Touch Book · 2 octobre 2015 à 09h02
J’ai beaucoup aimé ce roman ! 😀
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h37
Comment ne pas l’aimer…?
Au fil des plumes · 2 octobre 2015 à 09h35
Ce que tu dis de ce roman m’a convaincu. Je me suis notée le titre.
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h37
C’est une merveille, de celles qui marquent au fer rouge…
laurielit · 2 octobre 2015 à 15h22
oh qu’elle est belle ta chronique! J’ai tellement hâte de le lire. des bisous !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h38
Et moi j’ai tellement hâte de savoir si tu l’aimeras autant que moi…!
krol · 2 octobre 2015 à 17h52
Je veux le lire depuis que je l’ai vu chez Jérôme !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h38
Connaissant ta sensibilité littéraire, tu ne peux que l’aimer celui là Krol…!
Delphine-Olympe · 2 octobre 2015 à 21h04
Douloureusement d’actualité ce livre.
D’après ce que tu en dis, il propose un autre regard sur ces hommes, ces femmes et ces enfants prêts à braver tous les dangers pour aller chercher une vie qu’ils espèrent meilleure. Fuir n’est jamais un choix.
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h39
Non, fuir n’est jamais un choix… Et ce roman a une façon bien à lui de le rappeler…
Valérie · 2 octobre 2015 à 21h33
Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi mais je suis d’accord, c’est un indispensable.
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h40
Tu en as parlé Val ? Je ne crois pas avoir vu passer de billet à son sujet chez toi…
Géraldine · 2 octobre 2015 à 22h18
Même si ce roman est un gros coup de cœur pour toi, ^même si je ne doute pas de sa qualité, il ne me tente pas, car j’aurais l’impression de regarder encore et encore les infos et tous ces visages que l’on y voit et qui me fendent le cœur.
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h41
Justement, pour toutes ces raisons que tu évoques, je pense que tu devrais le lire, au contraire… Un écho douloureux, certes, mais cruellement nécessaire…
cristie · 3 octobre 2015 à 07h53
Comment résister maintenant ? 😉
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h41
Il ne faut pas Cristie, il faut foncer… 😉
jerome · 4 octobre 2015 à 22h15
Très beau billet pour un très beau roman ! Je suis tellement content que tu l’aies lu, ça me tenait beaucoup à cœur, tu le sais d’ailleurs 😉
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h47
Ça te tenait à cœur et après l’avoir lu je le comprends… Je m’en serais voulu de passer à côté..
Alex-Mot-à-Mots · 5 octobre 2015 à 10h47
Un sacré coup de coeur !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h48
Oui, et ils sont peu nombreux de cette trempe !
Yv · 5 octobre 2015 à 11h03
Excellent ce roman, l’un de mes grands moments de lecture de cette rentrée littéraire et plus généralement également. Tu as raison, les personnages sont inoubliables
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h48
Il aura une place à part dans mes souvenirs de lecture, c’est certain…!
lasardine · 5 octobre 2015 à 21h06
et ben… voilà qui me donne encore plus envie!
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h49
Maël, crois moi, tu dois lire ce livre !
Delphine-Olympe · 17 octobre 2015 à 13h48
Merci Noukette d’avoir attiré mon attention sur ce livre !
Noukette · 28 octobre 2015 à 22h49
Merci à toi de me faire confiance !
Mokamilla · 24 janvier 2016 à 19h28
Livre lu. Un vrai coup de cœur. Une vraie gifle.
https://aumilieudeslivres.wordpress.com/2016/01/24/les-echoues-pascal-manoukian/
Noukette · 12 septembre 2016 à 22h06
Et ton billet est une merveille… <3
Les Echoués, Pascal Manoukian | Bric à Book · 9 novembre 2015 à 00h32
[…] Noukette : Je défie quiconque d’oublier Virgil, Chanchal, Assan et Iman une fois le livre refermé. Moi je ne pourrai pas. Les échoués est un roman nécessaire, de ceux qu’on lit avec un vrai sentiment d’urgence. Pas de ceux qui donnent une foi immense en l’humanité, non, mais un roman qui ouvre les portes au lieu de les refermer, et ça, c’est déjà beaucoup… Le tout dans une langue impeccable, capable d’instiller de la poésie pure au cœur du chaos le plus sordide. Un premier roman brillant et essentiel. Et un coup de cœur, un gros ! […]
Les échoués – Pascal Manoukian | Au milieu des livres · 24 janvier 2016 à 18h47
[…] de Jérôme, parrain de l’opération Priceminister, de mon Petit carré jaune, Noukette , Charlotte… (Et tant […]