Ils n’ont pas compté les jours. Ni les années. Ils avaient pris l’habitude de ne plus être chez eux. Et ils étaient vivants, c’était bien le principal. Mais le monde d’avant, ils l’avaient encore en tête. C’est tenace les souvenirs, ça laisse des traces, ça imprègne, ça ne veut pas partir. Dehors, loin, il en restait sûrement des petits bouts d’avant. Des espaces de liberté qu’ils pourraient fouler de leurs pas. Des endroits accueillants où ils pourraient bâtir une nouvelle vie. Un Ailleurs.

Quand les portes se sont ouvertes, ils n’ont d’abord pas bougé. Certains attendaient qu’on vienne les chercher. Le camp, jusque là, était finalement ce qui se rapprochait le plus d’un chez-soi. Mais quelques hommes décidèrent de partir. Au loin, derrière les montagnes abruptes et les villages dévastés, il devait bien rester quelque chose de leur vie d’avant… et ils avaient envie d’y croire.

Ça peut pas s’être envolé comme ça. Il doit rester quelque chose de ce qu’on a connu. Hein Jamarr.

Jamarr émet un léger grognement.

C’est ce que tous les gars qui veulent revenir là-bas doivent se dire. Qu’on doit pouvoir retrouver quelque chose d’avant. En tous cas, moi, c’est ce que je me dis. Quand même, quand tu sais l’endroit que c’était. Quelque chose là-dedans doit continuer à tenir le coup.

La parole de Garri reste suspendue. Saul attend quelques secondes avant d’abandonner son morceau de bois sur les braises.

On va se reposer un peu maintenant, dit Garri.

Et demain, on repartira en direction des plaines, dit Emmett.

C’est ça, fait Garri.

J’ai marché au plus près de ces hommes. J’ai écouté leurs silences. J’y ai entendu leurs doutes, leurs espoirs surtout. Le monde d’avant n’existe plus mais ils sont ensemble et ils avancent. Il y a les poèmes qu’on écrit en secret pour remplacer tous les mots qu’on ne dit plus. Ces dessins qu’on cherche intensément au cœur des montagnes. Cette colère qu’on cherche à étouffer. Cette nature qui enveloppe, rassure et effraie à la fois. Ces chemins qui sont autant de routes vers celui qu’on aimerait redevenir…

Le lecteur ne saura jamais où l’histoire se déroule, ni quand et ce que ces hommes ont subi. Et il n’a pas besoin de le savoir. Antoine Choplin dessine un monde qui pourrait être le nôtre. Un monde qui n’est plus et qu’il faut réinventer. Un monde à redécouvrir avec des yeux d’enfants. Jamais un mot de trop chez Antoine Choplin. Il dit l’intime, le cœur des hommes où tout se noue, l’espoir et ces chemins de fuite comme autant de raisons de croire en l’avenir. Splendide ♥

Antoine Choplin, ce magicien. Un très beau premier coup de cœur de cette rentrée que je partage avec Jérôme.

 

Du même auteur sur le blog : La nuit tombéeRadeauLes gouffresL’incendie Une forêt d’arbres creux

 

Éditions La Fosse aux Ours (Août 2020)

206 p.

 

Prix : 18,00 €

ISBN : 978-2-35707-157-5 


11 commentaires

Hélène · 31 août 2020 à 09h19

Il fait partie de mes priorités !

Nathalie · 31 août 2020 à 11h12

Un auteur que je ne connais pas encore !

Papillon · 31 août 2020 à 12h36

Il y a un moment que je n’ai pas lu Antoine Choplin, mais tu me donnes très envie d’y revenir.

Delphine-Olympe · 31 août 2020 à 12h52

Bon, je viens de lire le billet de Jérôme et, malgré votre enthousiasme à tous les deux, je crains de ne pas être sensible à ce genre de prose. Encore qu’il faudrait tenter pour en être sûre… Mais en cette rentrée littéraire, tant d’autres lectures m’appellent à cor et à cri 😀

Jérôme · 31 août 2020 à 13h53

Jamais un mot de trop chez Choplin, c’est vrai. J’aime plus que tout sa sobriété et son humanité.

nicolemotspourmots · 31 août 2020 à 17h51

Bizarrement, ma seule tentative de lire Antoine Choplin est restée très neutre alors que j’étais persuadée d’être en terrain conquis. Il faudra que j’essaye encore…

krol · 31 août 2020 à 18h59

Un coup de coeur ! Rien que ça ! Bon, il faudra bien que j’essaie de lire cet auteur.

Alex-Mot-à-Mots · 3 septembre 2020 à 14h11

Il pourrait me réconcilié avec l’auteur, dont les derniers ouvrages m’avaient un peu déçus.

Violette · 4 septembre 2020 à 14h29

une lacune pour moi, je commence par quelle oeuvre?

Moka · 6 septembre 2020 à 10h14

Il est vraiment temps que je découvre cette plume.

Géraldine · 9 septembre 2020 à 12h37

Très tentant cette histoire où il semble être question de réinventer le monde…. Et actuel !

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